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Festival de Cannes: Jour 2

Publié le 17 mai 2019 dans Actu ciné

Au menu de cette deuxième journée cannoise: Les Misérables et Bacurau en lice dans la Compétition Officielle, mais aussi Le Daim de Quentin Dupieux présenté à la Quinzaine des Réalisateurs et La Femme de mon frère présenté dans la section Un Certain Regard.
La deuxième journée de cette 72eme édition a-t-elle démarré sous des mauvais auspices (une pluie promettant de décimer une partie des festivaliers) que l’ouverture de la Quinzaine des réalisateurs a été un charmant plaisir. Si nous ne pouvons pas en dire autant de celle du Certain Regard, force est de constater que la Compétition démarre très très fort avec deux titres coups de poing : Les Misérables et Bacurau. Il s’agit d’encaisser les coups, de retenir ses larmes et de sourire – aussi.

La première sélection de Paolo Moretti, nouveau délégué général de La Quinzaine des Réalisateurs, s’est laissée appréhender sous l’angle de la comédie avec Le Daim de Quentin Dupieux. Et autant dire que de réalisateur il était doublement question puisque le cinéaste français impose son style tout en parvenant à renouveler la tonalité singulière qui caractérise son cinéma tandis qu’il met une scène un cinéaste malgré lui… Comédie absurde, Le Daim manque quelque peu de rythme et peine avant de décoller en nous emportant au cœur d’un délire où excellent Jean Dujardin et Adèle Haenel. Le scénario tient-il de l’idée (Georges et son blouson en daim ont un rêve : que ce blouson soit le seul blouson au monde) qu’il est développé avec fraîcheur et naïveté, sans que nous ayons à nous soucier (et cela est préférable) du moindre réalisme (encore que le trait épais ne manque pas de finesse). Si l’accueil fut très chaleureux, nous ne pouvons qu’imaginer le retour glacial d’un tel film en sélection officielle…

Car du côté du Palais des festivals ce n’est pas pareil accueil qui a été fait au premier long-métrage de Monia Chokri. Si La Femme de mon frère démarre pourtant de manière sympathique, il ne trouve jamais son rythme et perd en cours de route notre attention (et de ceux qui ont préféré claquer la porte). Le principal défaut du film serait cependant celui de manquer d’un producteur apte à dire à la réalisatrice de couper certaines scènes et d’en supprimer d’autres. Le scénario est digne d’intérêt, la mise en scène originale malgré l’impression ponctuelle de retrouver du Xavier Dolan (c’est certainement ici que quelques coupes auraient aidé). Soulignons l’aptitude de la réalisatrice à diriger ses acteurs et à saisir leur énergie (comme son absence), et applaudissons une réunion familiale (la première) mise en scène avec panache, humour et amour.

Après le discursif mais néanmoins sympathique film d’ouverture, la ligne politique de la Compétition nous a littéralement sauté au visage (voire à la gorge) avec Les Misérables de Ladj Ly. Ce premier long-métrage de fiction du co-réalisateur du documentaire A voix haute fait suite au court portant le même titre. Ladj Ly retrouve les mêmes comédiens afin de s’intéresser à une même base scénaristique : le premier jour du rapidement surnommé Pento (Damien Bonnard) au sein d’une brigade du BAC dans le quartier des Bosquets auprès de Gwada (Djibril Zonga) sous l’autorité de Chris (Alexis Manenti) que les gens du quartier appelle « le cochon rose » (ce qui le rend très fier). Nous plonge-t-il dans la réalité des banlieues que Les Misérables s’ouvre d’abord sur la liesse et l’union alors que la France remporte la Coupe du Monde de football. Une immersion documentaire qui offre au quotidien dépeint par la suite non seulement son caractère réel (au-delà du réalisme) et effroyable une fois que se marque la division… Trois points de vue se nourrissent : au regard des policiers dont la réalité est plurielle (Pento devenant notre propre regard « étranger » sur le « 93 ») s’additionnent à la fois celui d’une jeune génération et de leurs « grands frères ». Le scénario est pensé avec soin, la mise en scène oscille entre un réalisme criant et quelques artifices trop marqués qui nous permettent néanmoins de respirer. L’intrigue est nourrie par son hors-champs que comble un imaginaire cinématographique de Bande de Filles de Céline Sciamma à Entre les murs de Laurent Cantet (quoique d’aucuns penseront à La Haine de Matthieu Kassovitz) et la référence littéraire. Première claque.

A peine avons-nous tendu la joue que nous pouvons offrir la seconde. Après le sublime Aquarius (2016), Kleber Mendonça Filho retrouve la Compétition avec Bacurau qu’il a co-écrit et co-réalisé avec Juliano Dornelles. Les cinéastes brésiliens nous plongent au coeur d’un futur proche dans la bourgade de « Bacurau » dont les habitants sont en deuil ayant perdu leur doyenne. Ils nous conduisent à faire route vers cette cité isolée auprès de Teresa qui rentre auprès des siens. Sur son chemin, dans l’habitacle du camion citerne amenant au village de l’eau potable, des cercueils jonchent la route, tombé d’un camion renversé sur le bas-coté… La mort hante le trajet qui la conduit à enterrer son aïeule au gré d’une cérémonie que la folie de l’alcool ne pourra perturber. Prenant le pouls des habitants et transcendant leur quotidien, le duo de réalisateurs assoient un premier climat solaire avant d’esquisser l’ombre qui plane. Isolé du monde, Bacurau est le théâtre idéal pour un safari singulier dont les proies ne seraient autres que ses habitants… Allégorie ou réalité ? Ce que les cinéastes singent d’un un premier temps (le clientélisme politique et l’égocentrisme des pouvoirs) est pourtant bien glaçant et tristement réaliste. Le film surprend, tend, questionne… Il demande à être digéré pour pouvoir ensuite purement et simplement crier au génie (tout en ayant envie de vomir à l’idée du devenir du monde). L’espoir demeure. Heureusement.

Nicolas Gilson

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