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Vu à Cannes: "Bande de filles"

Publié le 22 mai 2014 dans Actu ciné

Nicolas Gilson, notre envoyé spécial à Cannes, nous livre ses impressions sur Bande de filles de la réalisatrice française Céline Sciamma.
A l’instar de son ouverture, Bande de filles est proprement hypnotique. Après La Naissance des pieuvres et Tomboy, Céline Sciamma signe à nouveau un film fort, ancré dans son temps, en s’intéressant au destin d’une adolescente noire qui vit aux portes de Paris. Un portrait qui, bien que singulier, est proprement universel. Magistral.

Marieme vit effacée dans une cité. Elle voudrait passer en seconde, refusant le CAP qu’on lui propose car elle veut faire « comme tout le monde : normal ». Attentionnée, elle s’occupe de ses petites soeurs après l’école et subit les affres de la virilité de son grand frère, l’homme de la famille. Une bande de filles lui propose d’intégrer leur groupe. Marieme refuse avant de se glisser parmi elle, séduite par l’attraction qu’elle suscite et, bientôt, la dynamique qui en fait l’identitaire.

Céline Sciamma compose son film comme une succession de mouvements qui, à chaque vague, (re)dessinent la personnalité de sa protagoniste. Ce faisant, elle ancre une critique juste et acerbe de la société pour le moins masculiniste dans laquelle la jeune fille évolue – et dans laquelle nous évoluons. Pour autant cette exégèse est teinté d’espoir au regard de l’éclat qui jaillit de sa protagoniste. Plus encore la réalisatrice se joue des codes et dès lors de nos attentes – le fard et le rouge à lèvres devenant des armes plus vives que la séduction.

L’ouverture du film tient du sublime : au-delà de la découverte de filles en train de jouer au rugby (une prime réappropriation d’un univers réservé d’ordinaire aux hommes), Céline Sciamma révèle avec une force rare la réalité qui régit l’espace public où les filles (femmes) deviennent les attributs des hommes, baissent la tête et avancent en silence. Ainsi lorsque les jeunes filles, encore excitées par leur entraînement, pénètrent la cité, elles plongent soudainement dans un mutisme saisissant. Les silhouettes masculines les entourent, comme menaçantes – une impression renforcée et confirmée alors qu’elles se séparent peu à peu. Du groupe se détache une figure, celle de Marieme, dont le récit et les lignes de vie ne sont dès lors qu’un point de vue sur une réalité commune. Trop commune.

La construction scénaristique est habile et parfaitement maîtrisée. Plus encore que son caractère universel, Céline Sciamma parvient ainsi à donner à sa Bande de filles plusieurs degrés de lecture : chaque geste, chaque mot trouvant un écho bien au-delà de la ligne narrative qui aborde brillamment les relations familiales, amoureuses, amicales et « sociales ».

Superbe et « esthétique », la réalisation n’est jamais esthétisante, Sciamma créant une syntaxe pleine de sens en jonglant à dessein avec les effets de mise en scène et de montage, le réalisme et les artifices, bref avec l’ensemble des possibilités que lui offre le médium cinématographique. Une grammaire pleinement expressive et quelque fois, lorsqu’elle exacerbe l’énergie des protagonistes, jouissive. Enfin comment ne pas être sous le charme face à l’ensemble des interprètes (Karadja Touré en tête) qui sont d’une justesse admirable – ce qui confirme par ailleurs l’acuité de la réalisatrice à diriger ses comédiens.

Pour découvrir le site de Nicolas Gilson, c'est  par ici !

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