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Marion Cotillard : "La peur ne me quitte jamais"

Publié le 22 mai 2013 dans Actu ciné

Paradoxe et réalité d'un festival international comme Cannes : c'est en anglais, avec un groupe de journalistes de toutes les nationalités, que nous avons interviewé Marion Cotillard

Mais un paradoxe logique, puisque les deux films sélectionnés à Cannes dans lesquels elle apparaît cette année ont tout deux été tournés aux Etats-Unis :  Blood Ties, réalisé par « monsieur Cotillard » Guillaume Canet, et The Immigrant de James Gray (qui a aussi coproduit et coécrit le premier).


Quelle est pour vous la principale qualité de Guillaume Canet comme réalisateur ?

Il sait ce que c'est d'être un acteur sur le plateau, ce que ça représente de jouer avec ses émotions. Il est très respectueux et généreux avec les acteurs. Et vous pouvez lui faire confiance. Sur Les petits mouchoirs et ici, il a fait attention aux tous petits détails. Sur le premier, je lui avais demandé de modifier une chose, et quand j'ai vu le résultat à l'écran, j'ai compris que je m'étais trompée et qu'il avait raison. Désormais, je me fie totalement à lui.


Lire aussi : notre critique de Blood Ties 


Quel était votre défi sur ce film-ci ?

Sur celui-ci et sur le James Gray aussi, d'ailleurs, c'était de parler une autre langue que l'anglais ou le français. En l'occurrence dans Blood Ties, l'italien. J'avais déjà eu une expérience désastreuse sur un précédent film où je devais parler italien et mon accent était exécrable. En préparant ce film, je me suis dit que mon personnage, Monica, devait être italienne. C'est une intuition que j'ai eu très tôt, tout au début de ma réflexion sur ce rôle. J'en ai parlé à Guillaume, qui m'a dit : « super ! » Et tout de suite après, je me suis dit : « mais tu ne parles pas italien ». J'ai dû apprendre à le parler en donnant l'impression que c'était ma langue maternelle.


D'où est venu cette idée ?

Je ne sais pas. J'ai commencé à penser à elle, à me demander d'où elle pouvait venir.


Y a-t-il l'une ou l'autre actrice italienne que vous aviez en tête pour interpréter Monica dans Blood Ties ?

Je suis fan des films de Sophia Loren. Je crois que j'ai tous ses films, même ceux que l'on ne peut pas trouver, je les ai.


Voyez-vous une différence fondamentale entre les Etats-Unis et l'Europe en terme de tournage ?

Comme actrice, je ressens autant de différence entre deux films français de réalisateurs différents qu'entre un film américain et un film français. Travailler avec Guillaume ou Olivier Dahan (La Môme) n'a rien de comparable. Maintenant que j'ai aussi l'écho de l'expérience d'un réalisateur français ayant travaillé aux Etats-Unis, je constate surtout que les différences sont d'ordre technique.


Vous aimez pousser les gens à recycler sur un tournage...

Ils devraient le faire d'eux-mêmes !


Est-ce que les Européens sont plus sensibles au sujet que les Américains ?

Vous voulez rire ? Les tournages français et européens sont les moins écologiques que l'on puisse imaginer. Ils s'en foutent. C'est incroyable. Alors qu'aux Etats-Unis, en particulier en Californie, ils sont beaucoup plus préoccupés par la question : il faut recycler sur les tournages. Le rêve, ce fut sur le tournage d'Inception, grâce à Leo [DiCaprio], qui est un militant écolo très actif. Là, vous aviez intérêt à recycler.


Comment persuadez-vous les gens ?

Il faut être calme et pédagogue. Ça ne sert à rien de crier sur les gens ou d'être idéologue. Je suis douce et je m'adresse gentiment à mes interlocuteurs.


Le producteur français Vincent Maraval, début d'année, a mis sur la table la question des salaires des acteurs qui seraient trop élevés en France par rapport aux recettes des films. Qu'en pensez-vous ?

Je ne sais pas. Il parlait de projets très spécifiques, où des acteurs furent payés grassement et qui furent des échecs. Pour The Immigrant de James Gray, le budget était ridicule. C'est un film désargenté. Je n'ai pas pris de gros salaire. On ne demande pas des millions de dollars quant vous êtes sur film auquel vous croyez mais qui est sous-financé. Si vous croyez au film, que vous voulez le faire, vous ne prenez pas de salaire. C'est tout. A côté, il y a des projets où on sait qu'on peut demander un très gros salaire. Si le film est un flop, cela peut paraître ne pas avoir de sens, mais on ne peut le savoir à l'avance. C'est la réalité du cinéma. C'est très difficile de généraliser.


Accepteriez-vous un projet pour le salaire qu'on vous propose ?

Non, je ne pourrais pas. Si j'en arrive là, ce sera mon dernier film. J'espère ne pas en arriver là. Ma passion pour ce métier est trop grande que pour réduire ça à une question d'argent.


Mais vous pouvez dire cela parce que vous êtes à un point où vous pouvez choisir les films que vous faites...

Oui, bien sûr. Et aussi parce que mon contrat avec Dior me permet de faire ce que je veux. C'est un luxe. Parfois, j'ai fait des films pour lesquels j'ai été encore moins payée qu'à mes débuts.


Vous avez souvent dit que vous ressentez de la peur sur les tournages. Est-ce toujours le cas ?

Oui, elle ne me quitte jamais.


Comment gérez-vous cela ?

Je travaille beaucoup. Je fais en sorte d'être le mieux préparée possible. Je crois que cela fait partie de notre ADN d'acteur. Il y a des choses pour lesquelles nous ne serons jamais totalement préparés. Encore aujourd'hui, j'ai fait la séance photos avec Zoe Saldana. Elle et moi nous avons fait des dizaines et des dizaines de tapis rouge et de photo-call. Cela fait partie de notre métier. Et ce matin encore, je tremblais comme une feuille.


Diriez-vous que vous avez besoin de cette peur pour être une bonne actrice ?

Je ne sais pas. J'essaie de ne pas analyser cela. C'est juste comme ça. Et cela découle aussi du fait que je ne veux pas contrôler la moindre émotion. J'ai besoin de me perdre dans le rôle. C'est la raison pour laquelle je rassemble tant de matériel, de la musique, des photos, tout ce qui peut me nourrir et nourrir le personnage. Je me mets dans un état de disponibilité et je laisse l'inspiration remplir le vide que représente encore le personnage avant le tournage.


Certains acteurs se plaignent d'être enfermés dans des rôles. Vous n'avez pas ce problème, mais y a-t-il des types de rôles que vous aimeriez jouer et qu'on ne vous propose pas ?

J'aimerais faire une comédie. Je ne sais pas si je serais bonne dedans, mais je trouverais cela intéressant. Mais je sais que je devrais aussi travailler énormément pour un film de ce type. Mais je ne veux pas non plus expérimenter quelque chose et être mauvaise dedans.


Entretien : Alain Lorfèvre, à Cannes


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