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Sofia Coppola et "The Bling Ring"
Publié le 16 mai 2013 dans Actu ciné
Deux ouvertures en miroir, deux films qui réfléchissent le thème de la célébrité, l’aveuglement qui menace ceux qui sont attirés par tout ce qui brille.
The Bling Ring est inspiré d’une histoire vraie — l’actuelle formule magique du cinéma —, celle d’une bande de cinq ados de L.A., qui, en 2008 - 2009, ont cambriolé les villas de célébrités dont celles d’Orlando Bloom et Paris Hilton. Composé à 80 % de filles, de très jeunes filles, le gang avait pour caractéristique de passer du bon temps chez leurs victimes, en chinant dans le dressing, en recherchant des objets moins pour leur valeur que pour l’éclat d’avoir été portés, montrés, flashés sur un tapis rouge.
A distance
Regardé à distance, à travers la caméra de Sofia Coppola, ce fait divers prend une dimension passionnante au point d’apparaître comme un révélateur des dégâts de la culture contemporaine. En effet, ses protagonistes sont en somme les représentants de la nouvelle génération Facebook – Twitter – télé-réalité, une génération obsédée par la célébrité.
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Tout au-dessus du palais des festivals, au sixième étage, sur une immense terrasse, Sofia Coppola attend les journalistes. On ne se bouscule pas. Elle n’est pas un bon client, comme on dit. Un Coppola n’est pas l’autre. Autant l’un est un conteur chaleureux, autant l’autre est sur la réserve. Ses interviews ressemblent à ses films qui laissent beaucoup d’espace aux spectateurs, à l’interprétation. Pas question pour elle d’influencer un sentiment, d’orienter un jugement avec ses propres commentaires. Une phrase ou deux suffisent à chaque question. "Ce que vivent les jeunes d’aujourd’hui est très éloigné de ce que j’ai vécu à leur âge. C’est vrai qu’en écrivant le scénario, j’ai pris conscience de la façon dont la culture contemporaine impacte la nouvelle génération.”
De façon dangereusement perverse semble-t-elle nous indiquer. A la suite de ces cambriolages — dont l’addition s’élève tout de même à trois millions de dollars — Alexi Neiers (interprétée par Emma Watson) fut arrêtée, jugée, condamnée. Le tout fut suivi par les télés, les journaux, les magazines dont le très haut de gamme Vanity Fair qui lui consacra une enquête au titre imparable : “Les suspects portaient des Louboutins”. C’est d’ailleurs l’article qui inspira Sofia Coppola.Bref toute cette presse a rendu cette fille célèbre, une notoriété qu’elle exploite aujourd’hui dans des émissions de télé-réalité. "Oui, le film dit ce qu’on peut éprouver à propos de notre société" ponctue laconiquement Sofia Coppola qui n’entend pas en rajouter.
On croise d’ailleurs dans le film, une icône de notre temps : Paris Hilton. En effet, sa propriété fut cambriolée à plusieurs reprises par le “bling ring”. Elle a accepté un caméo et surtout elle a permis à Sofia Coppola de tourner chez elle, une maison qui tient davantage d’une succession de boutiques de luxe que d’un home sweet home. “Elle a beaucoup plus d’auto-dérision qu’on pourrait le croire”, sourit Sofia Coppola. “Elle n’a pas vraiment lu le script, elle a été d’accord tout de suite, elle a mis sa maison à notre disposition”. Même les coussins à son effigie qui garnissent fauteuils, symbole du narcissisme contemporain et touche d’humour dans le cinéma de Sofia.
Un air de famille
Toujours aussi atmosphérique mais nettement plus nerveux — on ne dira pas speedé —, ce cinquième film voit la cinéaste tracer sa ligne, très cohérente, très musicale, très personnelle. Il y a entre les cinq “Virgin suicides” du Michigan, Scarlett Johansson en jetlag à Tokyo, Marie-Antoinette à Versailles, Johnny au Château Marmont et nos cambrioleurs du “Bling Ring”, un air de famille. A leur manière, ils sont tous beaux et “Lost”, vivant à côté de leur vie, dans une sorte d’apesanteur, un petit monde sans repères. “Ils cherchent tous leur identité. On doit tous trouver notre chemin et c’est ce qui m’intéresse d’observer. De l’intérieur”, conclut Sofia, de sa petite voix.
Entretien : Fernand Denis, à Cannes