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Moussa Touré nous parle de "La Pirogue"

Publié le 8 mai 2013 dans Cinéphiles

La Pirogue de Moussa Touré marquait en mai 2012 le retour du cinéma sénégalais au Festival de Cannes, dans la section Un Certain Regard.

On y retrouvait un cinéaste majeur de son pays, qui s’est tourné ces dernières années vers le documentaire afin de mieux saisir la réalité de ses contemporains. Il n’en reste pas si loin avec ce film. Nous avions rencontré le réalisateur à Cannes, l'année dernière.


Quel est ce sport de lutte que vous montrez au début du film ?

Au Sénégal, c’est devenu le sport national. Tous les jeunes sont devenus lutteurs. C’est même devenu un argument dans une campagne de sensibilisation pour amener les jeunes à ne plus tenter l’immigration mais à chercher à faire fortune en devenant lutteurs. C’est un sport exigeant. Et il y a aussi une dimension mystique, animiste. Beaucoup de Sénégalais sont musulmans, mais ont conservé un rapport à l’animisme très fort. Il y a les cultures importées, comme la religion musulmane ou le mythe de l’Occident matérialiste. Mais on ne peut aller nulle part, spirituellement ou physiquement, en reniant nos racines.


Vous aviez interrompu votre travail dans la fiction pour vous consacrer au documentaire ces dernières années. Est-ce que l’origine de ce film-ci était d’abord un sujet documentaire ?

Je n’avais pas l’idée de faire un documentaire ou une fiction. Ce sujet, c’est une réalité terrible du Sénégal et d’autres pays africains. Quand vous sortez de chez vous le matin, vous apprenez que tel ou tel jeune est parti. Mes enfants ont plein d’amis qui ont pris le chemin de l’exil. Et quelque temps après, on entend des pleurs chez les voisins : la pirogue a chaviré. On parle peu de ça. C’est un sujet tabou, surtout chez ceux qui sont revenus. Les témoignages sont rares. Mon mécanicien a disparu un jour. Puis, un matin, il était de nouveau à sa boutique. Je lui ai demandé de me raconter son histoire. On a passé une nuit ensemble. Il m’a donné tous les détails. C’est comme ça que le film est né. J’ai écrit un petit traitement, sous une forme poétique, que j’ai lu à mon producteur français. Après, il fallait dramatiser un peu les faits, parce qu’il me fallait des personnages de cinéma et parce que, fondamentalement, il ne se passe pas grand-chose pendant plusieurs jours. Ces migrants restent assis au fond de la pirogue sans rien faire. Nous sommes allés voir Abasse Ndione, l’écrivain (auteur deLa vie en spirale, NdlR). Abasse, il est "Breton", comme moi : nous sommes de la mer. Lui aussi, de sa fenêtre, il a vu partir des jeunes. Il a écrit un premier scénario. Mais il a fallu encore retravailler. C’est un écrivain : c’était trop bavard. Au total, ça a pris quatre ans.


Pourquoi donne-t-on 10 000 francs CFA (15 euros) à ceux qu’on rapatrie, comme vous le montrez à la fin du film ?

Quand l’Espagne a essayé de trouver une solution en négociant avec le gouvernement sénégalais, certains responsables de chez nous ont demandé de l’argent pour pouvoir stopper l’immigration. Cet argent était censé financer des projets pour motiver les jeunes à rester. Mais on sait où va réellement cet argent, n’est-ce pas ? Dans les 4x4 ou dans les comptes en Suisse. Les 10 000 francs CFA et le sandwich, ça permet de faire signer un papier à ceux qui reviennent. Avec cette signature, on fait croire qu’on a donné une maison ou une ferme au gamin qui a risqué sa peau.


A 14 ans, vous avez découvert le cinéma sur le tournage de Coup de torchon de Bertrand Tavernier. Si un jeune vient vous voir, vous l’encouragez ou vous lui dites que ça va être galère ?

Non, je l’aide. En ce moment même, je produis dix jeunes qui font chacun un film de dix minutes sur le baobab, un arbre fondamental dans notre culture. Je fais ça depuis neuf ans. Les films sont montrés au festival de documentaires en plein air que j’organise à Dakar et qui s’appelle Moussa Invite. Youssou N’Dour en est le parrain. L’année prochaine, la Belgique viendra avec Caméra enfants admis. On va faire des films d’animation avec eux. J’aimerais d’ailleurs produire un long métrage d’animation sur les baobabs avec mon ami Stéphane Roelants, ce producteur belge qui est installé au Luxembourg.


Entretien : Alain Lorfèvre

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