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"Rebelle", une histoire d’amour postmoderne

Publié le 21 janvier 2013 dans Cinéphiles

Le réalisateur canadien Kim Nguyen revient sur son film, nommé aux oscars.
Sorti sur les écrans belges mercredi dernier, "Rebelle" fait également partie de la sélection du Festival Ramdam. C’est un film choc. Une fiction ayant pour héroïne une jeune enfant soldat africaine, Komona, douze ans, qui se découvre un pouvoir magique - celui de converser avec les fantômes de ses parents, qui l’avertissent des dangers qui la menacent. Présenté à Berlin l’année dernière, nommé aux oscars dans la catégorie du Meilleur film étranger, "Rebelle" a valu à sa jeune interprète principale Rachel Mwanza un prix d’interprétation. Enfant de la rue de Kinshasa, elle avait été initialement repérée par le réalisateur et producteur belge Marc-Henri Wajnberg pour son film "Kinshasa Kids", fiction documentaire qui sortira sur nos écrans le 6 février prochain.

Le réalisateur canadien de "Rebelle" Kim Nguyen, 40 ans, était de passage en Belgique pour présenter son film au Festival Ramdam. L’occasion de revenir avec lui sur un projet et un tournage hors du commun.


Vous êtes Canadien et n’aviez jamais visité l’Afrique avant de tourner “Rebelle”. Qu’est-ce qui vous a mené à écrire un tel scénario ?
J’ai lu un récit sur deux frères birmans dont l’un s’appelait Johnny Htoo. Il avait 9 ans et s’est levé un jour en disant qu’il était la réincarnation de Dieu. Il a fini par mener une armée de cent ou deux cents soldats contre l’armée du gouvernement. Je me suis en parallèle documenté sur l’Afrique subsaharienne, et il s’est créé dans ma tête une mosaïque sur la réalité des enfants soldats et ce récit d’un jeune commandant se croyant invincible. J’en suis arrivé à vouloir faire une histoire postmoderne sur l’amour et la guerre.

Avez-vous fait des recherches sur ce type de conflit ?
Oui, c’est un projet qui s’est construit sur plusieurs années. J’ai rencontré des ex-enfants soldats au Burundi. Et puis j’ai lu certaines autobiographies d’ex-enfants soldats, réalisées dans le cadre d’un programme de réinsertion.

Vous avez tourné en République Démocratique du Congo, un pays qui connaît lui-même d’incessant conflits et qui a ses propres enfants-soldats. Cela a-t-il influencé le travail ?
Là-bas, j’ai constaté que malgré une réalité très difficile, et souvent violente, l’humour et une forme de joie de vivre subsistent. Cela a beaucoup influencé l’écriture du récit, qui est une histoire de résilience. Inconsciemment, en Occident, on a le sentiment qu’on croit que les outils pour résoudre les problèmes africains ne peuvent pas venir d’Afrique. Moi, je voulais montrer que ces enfants sont capables de prendre leur destin en mains. Je tenais à avoir comme personnage principal, une jeune fille noire. Pour le reste, nous avons tourné à Kinshasa, qui reste en dehors des zones de conflit ouvert, même si on sent une forme de violence latente. Mais nous avons eu le plaisir de constater que les Congolais, notamment les comédiens, ont très bien accueilli le scénario. Ils s’identifiaient au scénario et estimaient qu’on ne trahissait pas la réalité. Ils ont injecté beaucoup de leur âme dans le film. Les figurants, par exemple, ont été très courageux. La scène d’ouverture, quand les rebelles arrivent dans le village, tout le monde y va à fond, c’était terriblement crédible.

Bien que se voulant réaliste, votre récit inclut une dimension magique très importante.
C’est un courant auquel je m’identifie beaucoup. Je cherchais à pouvoir donner une perspective différente sur cette réalité. C’est un élément disjonctant. Cela s’inscrit dans la continuité de ce qu’a pu faire quelqu’un comme Gogol, qui est un des inventeurs du réalisme magique. La prémice de base du personnage de Komona, qui est perçue par ses compagnons d’armes comme une figure un peu divine, vient du conte birman. Mais l’inclusion de la magie dans le récit découle de l’animisme que j’ai découvert au Congo. Cette dimension est devenue beaucoup plus importante après mes premiers repérages là-bas. La magie est très concrète en Afrique : si vous avez perdu de l’argent, vous plaindrez l’enfant du voisin qui a dû vous jeter un mauvais sort. Sur le fronton des églises, les horaires précisent : "Messe le dimanche à 11h, exorcisme de 15h à 17h".

Rachel Mwanza est impressionnante. C’est une non-professionnelle. Comment est-elle sur un tournage ?
Elle travaille à l’instinct. Elle a une force incroyable que plusieurs comédiens n’auraient pas. Elle a grandi dans la rue. Avant de tourner dans le film de Marc-Henri Wajnberg "Kinshasa Kids", elle vivait sous le toit du marché de Kinshasa. Il faut canaliser sa force, son énergie vitale. D’autre part, elle était analphabète à ce moment-là. On ne pouvait pas lui faire lire le scénario, la former à jouer. Tous les dialogues ont été écrits, mais sur le tournage, nous avons décidé de ne pas révéler tout le scénario aux comédiens. Et, d’autre part, de tourner de façon chronologique, du début à la fin...
Nous avons orchestré les scènes selon le principe d’improvisation dirigée : je plaçais les comédiens dans un contexte donné, et pendant la scène, je faisais survenir quelque chose - prévu dans le scénario - sans qu’ils sachent ce qui allait arriver. Très rapidement, nous avons réalisé l’importance des premières prises. Notre cadreur avait heureusement des nerfs d’acier, et il a su s’adapter très bien à la situation.

Avez-vous pu tout tourner avec des comédiens comme Rachel ?
Le rapport avec l’intimité est difficile. Elle est restée très pudique. Ce qui est un peu surprenant, parce que, à 13 ans, elle n’a pas eu d’enfance. Sa vie fait que c’est déjà, à sa manière, "une vieille âme". Mais à côté de ça, elle peut être extrêmement gamine. Je constaté par ailleurs à Kinshasa qu’on ne voit jamais les gens s’embrasser en public. Même s’il peut y avoir une sexualité très débridée dans la société. Mais j’ai donc décidé de laisser les comédiens poser leurs limites. Et c’est beaucoup plus authentique. On ne l’a jamais forcée à faire des choses. Dans l’expression de leur amour, ils ont finalement créé une relation de tendresse à l’écran qui est touchante.

Comment a-t-elle vécu cette expérience et le prix d’interprétation à Berlin ?
Elle a très bien vécu tout ce qui lui est arrivé. Il faut d’ailleurs qu’on fasse attention à lui faire comprendre que les deux films qu’elle a faits sont très particuliers et ont été réalisés d’une manière spécifique. On l’aide à suivre une formation de réintégration sociale. Je pensais qu’elle apprendrait à lire et écrire en deux ans. Mais c’est beaucoup plus long. Donc, dans l’immédiat, elle ne peut pas lire de scénario. Si elle veut poursuivre, elle va devoir pouvoir travailler de la même manière que nous l’avons fait sur "Rebelle". Ce qui est sûr, c’est que son parcours restera atypique.


Festival Ramdam, jusqu’au 22 janvier. Infos: www.ramdamfestival.be


Alain Lorfèvre




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