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Déborah François, une fille avec des caractères. Entretien

Publié le 28 novembre 2012 dans Actu ciné

Bluffante à l’écran dans "Populaire", Déborah François n’a pas fondamentalement changé dans la vie.
Ce mercredi sort "Populaire", une comédie qui ne manque pas d’atouts pour faire de son titre un qualificatif. Primo, il y a Romain Duris, un des acteurs en vue du moment qui a le pouvoir de monter sur son nom, le premier film d’un jeune réalisateur. Deuxio, un sujet original, les concours de dactylographie dont on avait oublié l’existence et qui donnent l’opportunité à Régis Roinsard d’exposer sa passion pour la fin des années 50.

Tertio, une Déborah François à tomber de son fauteuil. On ne peut la quitter des yeux. Et tant pis pour Romain Duris qui, d’ailleurs, est dans le même état que le spectateur Lambda : sous le charme. Jamais on n’aurait imaginé la Sonia de "L’enfant" des Dardenne en héroïne glamour. Mais n’est-ce pas le propre des comédiennes de multiplier les identités, de changer de caractère quand on incarne une dactylo. Bluffante à l’écran, Déborah François n’a pas fondamentalement changé dans la vie. Baskets étoilés, jeans et gros gilet gris — dehors, ça rafraîchit ! —, elle ne cherche pas à attirer les regards. C’est sur l’écran, qu’elle veut aimanter le spectateur.

Que s’est-il passé ? On ne vous avait jamais vue avec une telle présence à l’écran.
Ce n’est pas une question de présence. Il n’est pas possible de mettre de la fantaisie dans un film des frères Dardenne. Tout simplement, c’est la première fois qu’un film me permet d’exprimer une fantaisie que j’ai en moi, la première fois que j’ai la possibilité de jouer un personnage décalé. Les autres films ne s’y prêtaient pas. C’est la première fois que j’ai la chance d’exploiter mon potentiel comique. J’ai déjà participé à des comédies mais c’était le contexte qui était drôle, pas les personnages, ils étaient réalistes. Là, on est entre le réalisme et le décalé.

C’est là que votre interprétation est formidable, sur le fil, en équilibre entre la sincérité du personnage et la complicité avec les spectateurs.
C’est exactement ce que je voulais être, ni trop terne, ni trop fantaisiste. Et j’aimais bien aussi, être 2012 et 58. Là aussi, on était dans le complètement décalé par rapport à aujourd’hui. Quand on regarde les films de cette époque, on voit que les acteurs jouent, surjouent presque. C’est pas important, les gens savaient qu’ils étaient au cinéma. J’ai pris un petit bout de cela en 2012. En même temps, cette période pose un peu les bases de ce que va devenir notre société aujourd’hui : la célébrité, les ados considérés comme des personnes - des consommateurs surtout -, l’importance du clavier.

Vous n’aviez jamais pris la lumière comme dans ce film-ci.
J’aime la comédie, cela faisait longtemps je voulais montrer ce côté-là. Ce personnage était parfait car il est un peu plus que réel. Dans "Le Premier jour du reste de ta vie", je ne pouvais pas jouer en décalage, c’est le contexte du film qui faisait rire les gens. Même dans "Fais-moi plaisir", c’est Emmanuel Mouret qui est décalé.

On a même l’impression que Romain Duris est ébloui, qu’il va vous applaudir.
Mais il m’a applaudie à la fin (rires). C’est aussi ce que Romain doit jouer. Il doit être de plus en plus étonné par Rose, mon personnage. Il est très gentil, Romain. Et j’ai de suite senti qu’on allait dans le même sens, celui du film, sans problème d’ego qui pollue parfois l’atmosphère sur le plateau. Il est super-professionnel.

Comment vous êtes-vous imprégnée des années 50 ?
J’étais déjà un peu préparée car c’est une période du cinéma que j’aime beaucoup. C’est l’âge d’or du studio, des comédies de Billy Wilder. Régis (NDR. Roinsard, le réalisateur) adore particulièrement "Ariane". Moi, je suis une fan de "My Fair Lady", de "Funny Face". J’avais des coupures de presse, des photos, des reportages télé et des manuels de dactylographie. C’est comme cela que je me suis rendue compte que les concours existaient vraiment. Au début, j’ai cru qu’ils étaient sortis de l’imagination de Régis.

Est-ce le premier metteur en scène qui vous booste à ce point ?
Non, mais les autres m’ont amené vers d’autres émotions. Mais c’est vrai que Régis est un formidable directeur d’acteurs. A la fois, il sait où il veut aller et il laisse de la liberté aux comédiens pour apporter des petites impros, des petits bouts de dialogue.

Des petites idées d’enseigne d’hôtel aussi... Hôtel Grivegnée.
C’est un clin d’oeil, il en existe d’autres dans le film, bien cachés. En fait, Régis m’a dit : “Je t’offre le nom de l’hôtel où va se dérouler la scène d’amour”. Je n’allais l’appeler l’hôtel de la gare et donc j’ai choisi hôtel de Grivegnée. Pour moi, c’est important d’où je viens.

“Populaire” est un temps fort de votre filmographie. Le premier c’était “L’enfant”.
Oui, la base. Comprendre ce que chacun fait sur un plateau de cinéma. Apprendre à être rigoureuse, à m’occuper moi-même de mes accessoires, à être ponctuelle, à recommencer quarante fois la même prise, comme si c’était la première fois. Acquérir une méthode de travail.

Le deuxième, c’était “La tourneuse de pages”. Vous avez dû apprendre le piano ?
Mes parents m’ont appris qu’il fallait travailler dans la vie. Je ne vois pas pourquoi je ne travaillerais pas parce que j’ai la chance d’être comédienne. Il
faut plutôt que je travaille deux fois plus. Et c’est même un plaisir d’apprendre, de mettre une nouvelle corde à son arc. Comme je m’ennuie vite, je trouve cela plutôt divertissant. C’est un petit challenge, et j’aime cela. Mais je ne vois pas ma filmographie, comme une série d’étapes. Même si un film n’a pas touché son public, il m’a apporté quelque chose. Chaque film fait partie de moi, indépendamment de son succès ou de son échec.

Y a-t-il un film qui vous a fait gagner en assurance ?
Ce n’est un tournage mais le César qui m’a donné confiance en moi. Que la professionme donne une récompense, c’était comme un message de bienvenue, qu’il existait une place pour moi. Avant, je n’étais pas sûre que j’avais le droit d’être là. Même si être choisie par les Dardenne ne relève pas de la chance, on éprouve un sentiment d’imposture. “C’est génial, j’adore, c’est ce que je voulais, c’est ma passion, j’ai envie de le faire à fond.” Mais pourquoi moi ? Pourquoi cette chance, là ?

Parce que vous avez des caractères.
(Rires) Je ne lâche rien quand j’ai une idée. J’ai tout fait pour avoir le rôle de Rose. Je me suis battue pour être le meilleur personnage. Décrocher ce rôle, c’était comme une compétition, j’étais déjà dans l’esprit du personnage.

Comment résonne chez vous cette phrase du film prononcée par le père de Rose : “Etre célèbre, c’est pas un métier”.
C’est tellement vrai, un tel clin d’oeil à la téléréalité. Aujourd’hui des gens sont célèbres pour avoir passé quelques semaines enfermés dans une maison, s’être exhibé en bikini ou être la fille de je ne sais pas qui. Etre célèbre, c’est pas un métier !


Fernand Denis






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