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Démontrer la puissance de l’art comme prise de conscience intérieure - Entretien avec les frères Taviani

Publié le 17 octobre 2012 dans Cinéphiles

Le projet “César doit mourir” est né par hasard, lorsque les Taviani ont assisté à une représentation à Rebibbia.
Le film a une structure particulière, mêlant vie intime des détenus et répétitions. Cette structure était-elle présente dès le début ?
Paolo Taviani : Non. Nous n’avions pas pensé à la structure avant la fin. C’est un projet à la fois étrange et original. Tout a commencé de façon un peu particulière, et à partir de là, ce fut un work in progress constant. Le point de départ est l’invitation d’une de nos amies à assister à une représentation théâtrale dans une prison. Nous étions un peu sceptiques sur ce que nous allions voir. Nous nous attendions à quelque chose de très amateur. Mais nous avons été époustouflés par cette représentation. Nous avons déjà été surpris de découvrir que cela se jouait dans le quartier haute sécurité de la prison de Rebibbia, dont les pensionnaires sont tous des condamnés à vie. L’un d’eux a interprété un passage de "L’Enfer de Dante". Ce qui prenait évidemment une résonance particulière dans ce lieu. Le comédien, en se présentant, a bien insisté sur le fait que lui et ses compagnons étaient sans doute les mieux placés pour ressentir les émotions du protagoniste. Il a interprété cela dans son dialecte napolitain, ce qui donnait une portée nouvelle au texte original. Ensuite, ils ont joué "La Tempête", de Shakespeare, mais à nouveau dans leur dialecte respectif. Cela nous a beaucoup touchés. Et nous avons rapidement décidé de construire un projet autour de cette troupe. Nous nous sommes mis en rapport avec le dramaturge qui travaillait avec eux. Il nous a dit que leur prochain projet était une adaptation du "Jules César", de Shakespeare. Et nous avons proposé d’en filmer les répétitions.

L’amitié, la trahison sont des thèmes communs à ces hommes et à la pièce.
Vittorio Taviani : Oui. Il y a trois niveaux de lecture dans ce film. D’une part, il y a une forme de téléréalité, mais de la téléréalité qui représente une réalité qui n’est plus présente sur nos écrans de télévision. Quand nous avons filmé, Berlusconi était toujours président du conseil et on sait ce que ses télévisions ont apporté à l’Italie dans ce registre médiatique C’était notre réponse. L’autre niveau de lecture, ce sont les thèmes présents dans la tragédie de Shakespeare : la réflexion sur le pouvoir, l’enjeu de la liberté, de la démocratie, la corruption, la trahison et l’amitié. Et, enfin, la réalité des détenus, avec leur propre notion de la corruption, de la trahison, de l’amitié et du pouvoir. Ce n’est pas un projet rationnel pensé comme tel. Mais tous les éléments ont trouvé naturellement leur place durant le tournage. Le point commun entre tous ces thèmes, c’est Shakespeare qui nous a unis à ces détenus.

A l’époque de Shakespeare, il était fréquent que des comédiens masculins interprètent des femmes. Les rôles féminins sont ici absents. Pourquoi ? Censure de l’univers carcéral ou peur du traversissement des comédiens ?
Vittorio : Il est arrivé qu’ils fassent appel durant ces pièces à des comédiennes extérieures. Mais nous avons décidé de ne pas le faire dans ce cas-ci. Nous avons toutefois supprimé les rôles féminins non parce que les détenus ne voulaient pas interpréter des femmes, mais parce que filmer en gros plan des hommes comme eux, travestis en femme, nous semblait un peu étrange.

Ce n’est pas un documentaire, mais un film documenté. Certains dialogues sont-ils mis en scène par vous ? On a le sentiment que certains passages sont rejoués, comme la phrase finale de Rega ?
Paolo : La dernière phrase n’est pas écrite par nous, mais fut réellement dite par le détenu qui est en prison depuis 30 ans. C’est un ancien boss de la Camorra, il a été condamné pour meurtre. Il fait partie des raisons pour lesquelles nous avons fait ce film. Il démontre la puissance de l’art comme prise de conscience intérieure. Ils ont découvert chacun que ces personnages shakespeariens leur étaient en réalité très familiers. Qu’ils en comprenaient les motivations et les hésitations.

La durée du film est très courte. Pour quelle raison ?
Paolo : Nous avons fait un film court, car nous n’estimons pas que la qualité d’une œuvre se mesure à sa durée. Nous avons fait des films longs dans notre carrière. Mais ce n’est jamais un choix prématuré. C’est toujours lié à la substance du projet.


Alain Lorfèvre



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