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François Ozon : "Les films et les livres sont vivants, ils aident à vivre"

Publié le 10 octobre 2012 dans Actu ciné

François Ozon figurait en compétition au FiFF, la semaine dernière, avec "Dans la maison". Contrairement à Toronto et San Sebastian, il est reparti bredouille du festival.
(Attention aux spoilers. Si vous ne voulez pas trop en savoir, attendez de voir le film avant de lire l'interview...)


Claude n’oubliera jamais son professeur, M. Germain. Avez-vous un professeur que vous n’oublierez jamais ?
Rohmer, sans le savoir, a été très important pour moi. Mais je n’ai pas eu la même relation que Claude avec M. Germain. C’est quelqu’un qui m’a aidé à désacraliser le cinéma, à me dire que c’était possible, que je pourrais en faire un jour.

Peut-on passer à côté de sa vie, si on ne croise pas ce prof qui voit votre talent ?
Je pense que oui, mais ce n’est pas forcément un professeur. J’avais envie avec de film de rendre hommage à des gens qu’on admire. Cela peut être un professeur. C’est un métier très ingrat, mal payé. Il n’y a pas de retour immédiat. Le professeur donne beaucoup, il transmet, et sur le moment, l’élève n’est pas forcément conscient que ce qu’il reçoit est important. C’est 10 ans plus tard qu’il se dit, tel professeur m’avait dit cela, et cela m’a aidé à me construire. Dans le film, la relation va dans les deux sens. Le professeur se nourrit du jeune homme. Quand vous parlez avec les profs, beaucoup rêvent d’un élève qui va devenir un petit génie, un petit Rimbaud.

Aviez-vous une volonté pédagogique de livrer une leçon de mise en scène ?
Non, mais il y avait la volonté de mettre le spectateur au cœur du processus de création. De montrer les deux versants. L’un jubilatoire, ludique, raconter une histoire, créer des personnages, les envoyer dans une direction, le drame ou la comédie. Tout est possible, on est comme un dieu avec ses poupées. Et puis, l’autre, plus dangereux, plus manipulateur, transgressif. Comment on joue avec du vivant en fait.

Autorisez-vous vos personnages à se libérer, à prendre leur autonomie ?
Chez d’autres, c’est possible, pas chez moi. Mais des choses viscérales, inconscientes, pulsionnelles émergent. Ce qu’il y a d’excitant dans la création, ce sont ces choses qui vous échappent. Certains créateurs sont dans le contrôle total, moi je suis prêt à me nourrir des accidents, des imprévus. Mais un scénario, c’est construit, c’est pensé.

Un film, un tableau, un livre sont autant d’organismes vivants ?
Bien sûr. Les films aident à vivre, les livres, aussi. Chacun se les approprie et les interprète différemment. "Dans la maison" se termine là-dessus, sur deux personnages, deux solitudes inadaptées qui fuient la réalité et préfèrent rester dans le monde de la fiction.

Pensez-vous au spectateur pendant le processus créatif ?
Je n’arrête pas de penser à lui. Je me pose toujours la question à sa place. J’applique la leçon d’Hitchcock qui se demandait ce que le spectateur allait penser, ressentir ? S’il n’allait pas s’ennuyer. M. Germain dit à Claude : "Tu es comme Shéhérazade et je suis ton sultan, si tu m’ennuies, je te coupe la tête." Je n’ai pas envie qu’on me coupe la tête à la fin de mon film. Le travail consiste à se demander où est le spectateur, quelle information on lui donne. Pendant le processus créatif, je fais intervenir des gens extérieurs. Je leur demande ce qu’ils aiment ou n’aiment pas, après, c’est moi qui décide. Au montage aussi, j’ai besoin d’un regard extérieur, de quelqu’un qui me dit: "Là, je m’ennuie. Là, j’ai l’impression que tu te répètes." Je me nourris de ce que les autres ressentent.

Le spectateur doit-il être actif ?
Mon film met en place un dispositif qui met le spectateur au cœur du film. C’est lui qui se raconte l’histoire. Au fond, celle racontée par Claude est très banale. Ce qui est intéressant, c’est sa façon de la raconter. J’ai assisté à beaucoup de projections avec du public. A la fin, les gens me demandent : "Pourquoi Claude ne tue pas toute la famille, pourquoi il ne couche pas avec un tel, pourquoi Germain ne tue pas sa femme ?" Ouh la! la!, c 'est le spectateur qui fait le film. Il imagine sa fin à lui. Il s’est raconté beaucoup de choses, car il a travaillé pendant le film. J’aime cela au cinéma quand, tout d’un coup, j’existe, que je peux aussi imaginer pire que ce que je vois à l’écran. (Rires.)

M. Germain donne des conseils à Claude, comme “éveiller à la beauté plutôt que voir la laideur”. Avez-vous de tels principes en tête quand vous travaillez ?
Ce sont des choses qu’on m’a dites pendant ma scolarité : qu’est-ce que tu es noir - tu vas chercher les choses les plus horribles des gens - tu n’aimes pas tes personnages - tu es cruel. J’ai eu droit à tout, il suffit de lire les critiques. Mes profs aujourd’hui, ce sont les critiques...

Claude est-il un autoportrait ?
Je me suis retrouvé dans ce personnage. D’une certaine manière, je me suis approprié la pièce, j’ai pris ce qui m’a touché et je me suis projeté. Ceux qui aiment disséquer vont sûrement trouver des choses. C’est une pratique très française de surnalyser ses films. Moi, je fais et je me débrouille avec les trucs bizarres que je produis. J’aime que le film m’échappe, le côté expérimental. On met en place un dispositif et on voit ce que cela donne. Je n’ai pas envie de savoir ce que va être le film, j’aime bien le voir se construire, le voir muter devant moi. Et si, à la fin, il est assez différent de ce que j’ai écrit. C’est pas grave.


Entretien au FiFF à Namur avec Fernand Denis



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