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Félix van Groeningen veut faire entrer la poésie dans le film au moyen de la mise en scène - Entretien

Publié le 10 octobre 2012 dans Cinéphiles

A propos de 'The Broken Circle Breakdown' : “Si j’étais confronté à la perte d’un enfant, je m’inventerais peut-être un dieu pour continuer à vivre.”
Révélé au public international, avec "La merditude des choses" et sa fameuse balade cycliste et nudiste sur la Croisette, Félix van Groeningen en est à son quatrième film et incarne, avec Michael R. Roskam, la nouvelle génération du cinéma flamand.


Didier, votre personnage est Belge, vit en Flandre, parle flamand, mais il se vit “américain”. Comment êtes-vous parvenu à communiquer ce sentiment que son horizon est plus large, que sa ferme est un ranch ?
Ce ranch se trouve dans sa tête. Je ne voulais pas aller trop loin dans cette "americana". Le truc, c’était de ne pas aller trop loin dans l’image. Avec le décorateur, on a décidé de ne rien mettre d’américain dans le décor. On devait juste avoir le sentiment, la sensation, que c’est américain.

A nouveau, vous explorez la marge, mais chez elle, elle n’est pas synonyme d’exclusion, ce sont des gens qui vivent à côté.
Les différents milieux, cela m’a toujours fasciné. Le sujet de la "Merditude des choses" était le portrait d’un milieu. Le film est adapté d’une pièce de théâtre, le milieu n’est pas l’essentiel, mais il rend l’histoire plus intéressante, plus intense. J’aime beaucoup faire des recherches, j’y consacre beaucoup de temps. J’ai visité des clubs où les gens chantent et dansent comme des cow-boys. Cela ne m’a pas plu du tout, c’est souvent ridicule. Moi, je voulais que cela vienne du cœur; alors, c’est beau, c’est authentique. Un jour, j’ai rencontré un musicien qui a commencé à jouer du bluegrass à 15 ans, car son père était fou de cette musique. Il peut jouer d’autres musiques, mais le bluegrass, ce sont ses racines. Ça ne se voit pas spécialement dans sa façon de s’habiller, de vivre, quoique dans son appartement, il n’y a que du mobilier des années 50. Il m’a apporté un regard très authentique sur cette musique.

Il y a aussi le monde du tatouage. Est-ce une mode ?
Personnellement, je n’aime pas du tout les tatouages, mais j’ai vite trouvé la bonne personne, une tatoueuse qui a une petite boutique à Bruxelles. J’adorais son style, c’est elle qui a dessiné tous les tatouages. Avec elle, j’ai compris que pour ces gens-là, c’est très important, car chaque tatouage est une histoire. C’est une façon d’avoir sa vie sur soi. Et ça colle bien avec le personnage. Elise est très attachée à des symboles, alors que Didier, pas du tout.

Prendre un sujet comme cela, c’est vouloir affronter des émotions fortes ?
J’ai vu cette pièce et elle m’a bouleversé. Johan l’a écrite, l’a jouée. Le déclic s’est produit quand il a vu Bush à la télé mettre son veto contre la poursuite des recherches sur les cellules souches. En tant qu’athée, il avait été choqué par les motifs religieux avancés. Et il en a fait une pièce par empathie pour les gens qui attendent beaucoup de ces recherches. Tout cela est intégré dans une histoire d’amour qui est le cœur du film. J’avais éprouvé un sentiment très fort pendant la pièce, et mon but était d’arriver à susciter une émotion aussi forte avec le film.

Un amour brisé par la douleur et par la foi ?
Pour le moment, je n’ai pas besoin d’un dieu. Mais si j’étais confronté à la perte d’un enfant, je m’en inventerais peut-être un pour continuer à vivre. C’est une histoire vieille comme l’humanité, vieille comme la foi. Aujourd’hui, on se rend bien compte des mensonges de la religion, mais on continue d’en avoir besoin. Richard Dawkins a été une source d’inspiration pour moi. Ce théoricien de l’évolution est fasciné par Darwin. Il ne peut comprendre comment les gens continuent de s’accrocher aux dogmes religieux.

Avez-vous essayé de sublimer le sujet par le style, la forme ?
Oui. Un scénario est trop explicite. Il faut trouver d’autres façons d’aborder le sujet. Pour moi, c’est cela le trajet d’un film : à travers la mise en scène, le montage, faire rentrer de la poésie à la place de démonstration.

Pourquoi la mort rôde-t-elle toujours autour de vos films ?
J’essaierai de l’égarer la prochaine fois. Mon père est mort pendant la deuxième semaine de tournage de mon premier long métrage. Cela m’a terriblement touché. Ensuite, je me suis blindé. D’autres personnes sont mortes autour de moi, mais je ne voulais plus me laisser toucher autant. C’est un peu ce qu’on voit dans la dernière scène du film lorsque la famille est réunie autour de celui qui va s’en aller, parce que l’opération n’a pas réussi. Sauf que moi, je n’ai pas été capable de rentrer dans la pièce, alors que toute ma famille était autour de mon père au moment de retirer la prise. Je n’ai jamais eu de regrets de ne pas avoir été présent dans la pièce, mais en même temps, cette scène se trouve dans mon film. C’est bizarre, non ! C’était une émotion très forte pour moi, car en plus, on a tourné dans l’hôpital où mon père est mort. En fait, dans la vraie vie, j’ai eu peur de cette émotion, je n’ai pas osé entrer dans la pièce. Mais dans mon film, je suis dedans.


Fernand Denis



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