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Christian Petzold et les mirages des deux Allemagnes

Publié le 12 septembre 2012 dans Cinéphiles

“Barbara” est né des interrogations du réalisateur sur le rapport ambivalent de ses parents avec la RDA qu’ils avaient fui. Entretien à Berlin.
"Barbara" fut présenté au dernier Festival de Berlin en mars dernier. C’est là que nous avons rencontré son réalisateur qui y a reçu le prix de la Mise en scène.

“Barbara” montre la réalité quotidienne de l’Allemagne de l’Est, à l’opposé de “l’ostalgie”, la nostalgie de la RDA. Est-ce volontaire ?
La motivation de faire ce film a des sources autobiographiques. Mes parents ont fui l’Allemagne de l’Est dans les années cinquante. C’étaient des sociaux-démocrates. Ils ont gardé de la famille en RDA, que nous visitions dans les années 60-70. Ils semblaient heureux, ce qui me faisait m’interroger sur les raisons du départ de mes parents. Dans les années 70, mon père s’est retrouvé au chômage, et il a envisagé de retourner vivre en RDA. Mais il savait que le régime était condamné à plus ou moins brève échéance. Cela m’a toujours interpellé, ce rapport ambivalent. Quand j’ai tourné "Yella", dans une région de l’ex-Allemagne de l’Est, j’ai compris que je devrais un jour faire un film sur la RDA.

Barbara est en permanence dans la retenue. Est-ce le reflet de sa peur ou de ses doutes sur l’Ouest ?
Face au choix de quitter vos proches ou votre pays, je crois que les derniers jours ne sont pas toujours faits de l’excitation de l’anticipation, mais, au contraire, d’un questionnement sur les raisons de votre départ et sur la séparation, parfois irrémédiable, qui va s’en suivre. Un des acteurs du film a fui l’Allemagne de l’Est. Il a quitté sa compagne. Il l’aimait, mais a fait le choix de ne plus jamais la revoir. Son expérience nous a servis. Barbara veut quitter un système et rejoindre quelqu’un. Mais elle doute, malgré tout. Elle se construit une armure, pour ne rien laisser paraître, mais aussi pour n’être perméable à rien. Comme réalisateur, j’aime particulièrement observer des acteurs qui doivent jouer a minima, cacher les sentiments de leur personnage.

La scène où Barbara rencontre la jeune prostituée dans l’hôtel est cruciale.
Oui. Beaucoup d’hommes ouest-allemands ont dit à des Allemandes de l’Est : "Si tu viens avec moi en RFA, tu ne devras pas travailler, tu auras tout ce que tu veux." Mais la réalité était différente. J’ai grandi dans une cité-dortoir où les hommes partaient le matin, travaillaient dur et rentraient tard le soir. Les femmes avaient toutes les tâches ménagères sur le dos. Barbara est une jeune femme éduquée, exerçant une profession libérale. Elle ne peut pas se projeter en bonne ménagère. Et c’est ce que cet homme lui propose. Les membres masculins de l’équipe trouvaient cette phrase de l’amant un peu gratuite, mais les femmes, peu importe leur origine, étaient tétanisées à cause de la domination masculine qu’elle sous-entend. C’est la raison pour laquelle je trouve cette phrase extrêmement importante. Ce n’est pas très différent de ce qu’un client dit à une prostituée : "Monte avec moi, je te paierai." Nina fait très bien passer la réaction de Barbara, sans la surjouer. Elle parvient, de manière très subtile, à traduire son malaise. Passer à l’Ouest n’est pas forcément une libération Et face à cette jeune femme, Barbara se demande si elle-même n’est pas en train de se prostituer.

Dans vos films, l’environnement fait souvent écho au sentiment des personnages.
L’Allemagne est un cas assez particulier, puisqu’une nation s’est réunifiée après avoir suivi une évolution différente pendant près d’un demi-siècle. Si l’on prend le cinéma roumain, l’un des plus créatifs actuellement, il reflète l’état d’une société qui a vécu sous le communisme, puis est passée brutalement au néolibéralisme. Sans même que ce ne soit le thème central des films, c’est tangible dans les décors : dans une même rue de Bucarest, vous pouvez apercevoir les ruines d’une grande maison bourgeoise du début du XXe siècle, un bâtiment de l’époque communiste et une construction symbolisant le néolibéralisme. Dans "Barbara", nous avons essayé d’utiliser les décors dans ce sens, avec quelques beaux bâtiments de la bourgeoisie allemande des années 20, mais en état d’abandon, et, à côté, des bâtiments pratiquement préfabriqués, datant des années 60 ou 70, très caractéristiques de la RDA. Cela suffit déjà à signifier l’état de la société est-allemande.

Vous utilisez ici beaucoup les champs/contrechamps, ce qui est une technique “classique” du cinéma que vous teniez à distance dans vos films précédents. Pourquoi ?
C’est vrai que j’ai peu utilisé cela par le passé. J’ai été confronté à un problème de point de vue de l’image pratiquement politique. En voulant garder un point de vue plus neutre, avec une caméra extérieure aux gens, cela rappelait à mon sens la surveillance dont étaient l’objet les citoyens est-allemands. C’est d’ailleurs le sens du premier plan, où Barbara est observée à son insu depuis le bureau de son nouveau supérieur. Dès lors que je revenais à un récit intime, je me devais d’avoir une caméra au cœur des relations avec les gens. J’en suis donc revenu à un dispositif plus classique, plus cinématographique.


Alain Lorfèvre

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