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Quentin Dupieux, drôle d’Oizo

Publié le 11 septembre 2012 dans Actu ciné

Quand un musicien fait du cinéma, quand un Français tourne aux USA. Cela donne “Wrong”, film déjanté, absurde et louftingue mais structuré autour de la logique d’un homme prêt à tout pour retrouver son chien. Entretien
C’est ce qu’on pourrait appeler un Ofni ! "Wrong" est un objet filmé non identifié qui se posera sur les écrans demain. Aux commandes de ce long métrage déjanté, absurde, louftingue, mais affichant néanmoins une logique ne supportant aucun dérapage, on trouve un drôle d’oiseau. D’Oizo, même : c’est sous ce nom (de plume) qu’il s’est fait connaître avec un tube house, "Flat Beat", vendu à des millions d’exemplaires. La création d’une petite marionnette jaune, "Flat Eric", va ensuite faire vendre des millions de jeans Levi’s, de quoi se lancer dans le cinéma avec des projets décalés. Soit "Steak", un film avec Eric & Ramzy qui va laisser de marbre les fans et les détracteurs. Et puis "Rubber" ou les aventures d’un pneu tueur. Voila maintenant "Wrong", l’histoire d’un homme dont le chien a été kidnappé. Bien que plus abouti, il ne ressemble à rien de ce qu’on peut voir traditionnellement sur un écran. A quoi ressemble l’oiseau ? Un grand gars barbu et baraqué, genre bûcheron, très chaleureux, forcément un peu cogné mais qui ne manque pas d’idées sous le manche.


“Wrong” est ce qu’on peut appeler un film très inattendu...
J’ai envie d’échapper au quotidien, de filmer des choses insensées et de vivre à travers le film une expérience inédite qui ne ressemble pas à la vie. Pour moi, le cinéma doit être quelque chose de non attendu. Malgré les montagnes russes d’absurdités, il y a quand même une couche qui tient la route.

On est prévenu dès la première séquence, sujette à interprétation : veut-elle prévenir que le film est chiant ?
Non, c’est le "La", comme en musique. C’est pour régler l’esprit sur cette fréquence, cette lenteur peut-être "chiante" pour certains. En fait, on s’est habitué à une fréquence de montage frénétique à cause de la télé, des films d’action. Je crois que certains montent leur film rapidement pour cacher la misère. Plein de films n’ont aucune raison d’être frénétiques, si ce n’est pour éviter l’ennui. Moi je fais l’inverse, je laisse le temps.

Et pourtant vous tournez à toute vitesse, votre prochain film est déjà terminé.
Le policier de "Wrong" faisait si peur, j’aimais tellement l’acteur, qu’il m’a inspiré un autre film dans la foulée. J’ai l’avantage d’écrire seul, de ne pas avoir à subir les comités de lecture. Comme je fais des films peu chers, situés dans une zone qui n’existe pas, je peux me réveiller un matin et commencer à écrire sans savoir où je vais. Deux mois plus tard, le script est terminé et, un mois après, on peut tourner. Cette fraîcheur vient de ce processus. Mais quand je suis en tournage, le vrai guide est le scénario, je m’autorise très peu de changements.

Quand vous êtes-vous rendu compte que votre regard sur le monde n’était pas celui des autres ?
On a tous un regard différent, mais j’ai une façon singulière de faire du cinéma. Habituellement, on formate son esprit en fonction de règles à respecter. Moi, j’ai pris le parti de ne pas en tenir compte. Je n’écoute que moi, que mon instinct, mon cœur, mon esprit. J’envisage cela comme de la musique. Quand une scène sonne juste, je la garde. Et plus tard, une construction s’élabore. Je n’ai rien contre les vrais scénaristes, on voit plein de beaux films grâce à eux. Mais je n’aime pas les formules.

Quelles sont vos influences ?
On croit qu’on peut choisir ses influences, mais on ne peut pas. J’aimerais me revendiquer des Monty Python, du surréalisme. Mais en fait, on est influencé par tout ce qui existe, par les autres films, par la vie. Je m’en suis rendu compte un jour que j’étais en train d’écrire un scénario. J’ai fait une pause, j’ai regardé 30 minutes d’une merde sur Canal +, puis je me suis remis au boulot. Et je me suis vu en train de recracher ce que je venais de subir à la télé. J’avais été inspiré par une horreur. Je pense que cela arrive constamment. Ma méthode, c’est d’écouter mon instinct et de le laisser aller. Ça peut se rapprocher de l’écriture automatique, sauf qu’elle est consciente car cela doit tenir debout. Sinon c’est le grand n’importe quoi. Et le public n’a pas envie de se retrouver pendant une heure trente avec un gars qui dit : regardez mes idées folles.

Pourquoi êtes-vous parti tourner aux Etats-Unis ?
J’y ai déjà tourné "Rubber", qui s’y prêtait bien car le film faisait écho à un tas de clichés américains, à "Duel", à "Christine", au désert. Je n’aurais pas pu tourner à Créteil ou à Liège car cela aurait été trop proche de la vraie vie. Il fallait emmener les gens dans une imagerie cohérente. En puis, j’adore les acteurs américains. Ils ont une grosse qualité que je ne retrouve pas en France : ce sont de surprenantes machines à émotions. Ils ont une froideur par rapport à ce qu’ils sont en train de faire. Un mec qui rate une scène ne le prend pas personnellement. Il est comme une machine défectueuse à ce moment-là. Il suffit de la régler et cela repart. On peut faire un travail de haute précision avec eux. En fait, il n’y pas d’ego sur le plateau.

Vous aimez les spectateurs différents aussi.
Il m’est arrivé de dire aux gens avant la projo : "Si vous n’aimez pas ce film, c’est de votre faute." Ce que je veux dire, c’est qu’on peut choisir de regarder ce film avec le mauvais œil. On peut choisir de s’ennuyer. Et on peut aussi choisir de participer à ce moment de cinéma à part. Ce n’est pas un film qui prend par la main, mais si on a envie de jouer le jeu, car c’est un jeu intellectuel rigolo, alors le film est jubilatoire. Sinon, il est cuit.


Fernand Denis, envoyé spécial de La Libre à Deauville

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