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Woody Allen en homme heureux : entretien à l'occasion de la sortie de "To Rome with love"

Publié le 4 juillet 2012 dans Actu ciné

Toujours aussi productif, il vient, à 76 ans, de connaître son plus grand succès. Il y a un truc. Révélations.
Pantalon beige, taille haute, chemise assortie, le pas allègre, Woody Allen est à Paris pour la sortie de "To Rome with Love", sa comédie européenne annuelle. Manifestement, il tient la forme, semble même goûter à l’exercice de l’interview, lui qui resta des années sans accorder le moindre entretien. A 76 ans, son rythme ne faiblit pas. Son denier film sort, et il se prépare à tourner, à San Francisco, celui qu’on verra l’an prochain avec Cate Blanchett, Alec Baldwin et Sally Hawkins ("Happy-go-Lucky").


Si on croit votre sœur dans le documentaire que Robert B. Weide vient de vous consacrer, vous vivez actuellement la période la plus heureuse de votre vie.
La vie n’a pas de sens, mais on peut dire que les choses vont bien pour moi. Je vis un mariage heureux depuis quinze ans, j’ai deux beaux enfants, je vieillis lentement.

Et “Midnight in Paris” est le plus gros succès de votre carrière.
Un accident heureux. J’ai toujours essayé de faire un bon film, j’ai toujours travaillé de la même manière. "Match Point" a été un succès. "Vicky Christina Barcelona" aussi et "Midnight in Paris", plus encore. Pourquoi ? Je n’en sais rien. Je ne sais pas pourquoi tout le monde a aimé ce film. Sincèrement, je pensais qu’il ne marcherait pas. La plupart des gens qui vont au cinéma sont jeunes, je me disais qu’ils n’avaient jamais entendu parler de Gertrude Stein, Man Ray, Buñuel, Zelda Fitzgerald. Mais ils savaient, et ils sont venus. La seule chose qui a changé, ces dernières années, c’est que j’ai souvent tourné en Europe. Pour le reste, rien n’a changé. Parfois, on aime mon idée, parfois, on ne l’aime pas. Parfois, j’ai le sentiment que le film n’est pas si mal, et le public ne vient pas. Parfois, je le trouve médiocre, et c’est un succès.

Une façon de nous dire que vous êtes toujours déçu par le résultat.
Parce que lorsque j’écris le film à la maison, je ne dois pas affronter la réalité. Mais quand il faut le fabriquer, je me rends compte de mes erreurs, de l’argent qui manque, des décors qui me sont refusés, que telle blague n’est pas marrante du tout. Mais je recommence, en espérant à chaque fois réussir le chef-d’œuvre auquel j’aspire. C’est Sisyphe. Mais la joie se trouve dans le fait d’essayer.

Avez-vous vu le documentaire que Robert B. Weide vous a consacré ?
Oui, je le trouve véridique. C’est vraiment ce que je fais, je me lève, je m’allonge sur mon lit. Je sors les idées de mon tiroir. Je les tape sur ma machin à écrire, je coupe, j’agrafe. Je pratique ma clarinette. Rien n’est faux, cela se passe comme cela.

Rome après Paris, Barcelone et Londres. Peut-on parler d’exercices de ville ?
Oui, ces villes m’inspirent, car elles ont une forte personnalité. Paris, Barcelone, Londres ou Rome ne sont pas des villes anonymes, des images viennent immédiatement à l’esprit. Elles ont une mythologie.

D’autres villes qui vous inspirent ?
Vienne. J’imagine bien un film d’époque au tournant du XIXe et XXe siècles. Vous imaginez la panoplie de personnages à ma disposition, à commencer par Freud. Il y a matière à faire un film formidable à Vienne. Et si Vienne me propose de participer à son financement, je serais ravi de tourner un film là-bas.

Pas question de retraite pour vous. Dans “To Rome With Love”, votre personnage dit même que la retraite, c’est la mort. C’est votre avis ?
Non, je n’ai rien contre la retraite. J’ai des amis pensionnés qui adorent cela. Ils jouent aux cartes ou aux échecs, ils voyagent en Europe, ils s’amusent avec leurs petits enfants. Ce n’est pas pour moi. Moi, j’aime écrire. Et quand j’écris à la maison, je ne me languis pas de voir arriver le week-end, les vacances ou la retraite. Non, j’aime faire cela, ce n’est pas du travail pour moi. Vous avez déjà entendu ces sportifs qui disent : je suis payé pour jouer au baseball ou au football. Eh bien moi, je suis payé pour faire des films. J’aime vraiment cela, écrire, prendre la feuille, la glisser dans la machine et la remplir.

Mais à quel rythme ! Un film par an depuis plus de 40 ans.
Un film par an, ce n’est rien, j’ai le temps de jouer avec mes enfants, de pratiquer la clarinette, de partir en tournée avec mon jazz band, d’aller voir des matches de basket, d’aller au cinéma avec ma femme, de sortir dîner le soir. Et je vais vous expliquer pourquoi. Les autres réalisateurs passent l’essentiel de leur temps à réunir l’argent pour tourner. Et moi, je fais le contraire, je commence le film quand j’ai l’argent. Eux, ils écrivent le film, et pendant deux ans, ils vont manger avec des acteurs, des producteurs. "A" dit non, "B" dit oui, si "C" est d’accord. Mais "C", finalement, refuse, car "D" a été engagé. Et il faut tout recommencer. Il faut deux ans pour ficeler le projet et tourner. Pendant ces deux années, j’ai tourné deux films, car je n’ai pas dû passer par ce terrible chemin. Je sors le script de ma machine à écrire, je le donne à mon producteur, il fait un budget, quatre semaines plus tard, on fait le casting, et un peu plus tard, on tourne. Ça me laisse plein de temps.

Pour faire de la magie, aussi ?
J’aurais pu devenir magicien. J’ai toujours aimé les activités où j’étais isolé. Quand on est un jeune garçon et qu’on s’exerce à la magie, on passe des heures à manipuler des cartes, des pièces, à parfaire ses tours devant un miroir. On fait cela tout seul, travailler la clarinette aussi. Je m’exerçais tout seul dans ma chambre.

Vous avez quitté l’école jeune, vous n’avez pas fréquenté d’école de cinéma. Etes-vous devenu réalisateur par magie ?
Oui. Voilà des années que je fais des films, que j’ai le contrôle artistique complet, le final cut. Je ne fais que les films que je veux, je ne fais pas d’argent; pourtant, je garde toujours le contrôle complet. C’est mon plus grand truc de magie, une arnaque qui dure depuis 40 ans (sourire).


Entretien à Paris par Fernand Denis

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