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Brando : La beauté et l’âme du diable

Publié le 11 juin 2012 dans Actu ciné

François Forestier consacre un ouvrage à Marlon Brando. Qui est bien plus qu’une biographie
Il ne s’en cache pas, il l’écrit d’ailleurs dans la préface : François Forestier adore les personnages qui sont détestables. En la matière, il a été servi. Car Marlon Brando, sans doute l’un des plus beaux mecs du monde, l’un des plus grands acteurs, le plus grand séducteur d’Hollywood, était aussi une sacrée crapule. Un homme qui a passé son temps à détruire sa vie, celle des autres. “Et surtout à détruire son génie”, complète François Forestier.

Dans le métier que j’exerce depuis 40 ans, la chronique de cinéma, je croise tout le temps des gens qui prétendent que tel acteur ou tel metteur en scène était adorable, que tout le monde s’entendait à merveille. Mais tout cela est faux”, dit-il. “Ce qui est intéressant, c’est de soulever le masque et de décrypter le décor. Les gens pensent que je fais des biographies, mais je préfère croire que ce sont des romans vrais. Il n’y a rien d’inventé, chaque phrase a été prononcée, chaque détail a été vérifié. Ce qui m’intéresse, c’est de raconter ces histoires comme si c’étaient des polars.

Il est question de sexe tout le temps dans ce livre. Normal quand on sait que Brando a eu des centaines de maîtresses…
Des milliers, vous voulez dire ! Il y a deux choses : d’abord, c’était un gamin puis un homme qui avait une libido dévorante. Il ne pouvait pas voir une femme passer, il ne pouvait pas être désiré par un homme sans… Enfin, bref. Il passait son temps à avoir envie de coucher avec les gens. N’y voyant, d’ailleurs, que la manifestation ultime d’une relation, ce qui est une vision assez pauvre. Par ailleurs, c’est comme Marilyn : c’est quelqu’un qui a été désiré par la planète entière. Être réduit à n’être qu’un objet de désir, c’est terrible et ça ne peut que vous perturber.

Pour Brando, l’acte d’amour était totalement banal ?
Oui. On m’a raconté qu’il lui était arrivé, plutôt que de signer un autographe – notamment dans les hôtels, quand une femme de ménage lui demandait de signer pour elle –, d’embarquer la personne, d’aller lui faire une gentillesse et, quatre minutes trente plus tard, montre en main, de réapparaître en disant qu’elle s’en souviendrait toute sa vie.”

Qu’est-ce qui a fait que cet homme qui avait tous les dons se détruise à ce point ?
Il y a des causes profondes et des causes déclenchantes. Les causes profondes, on les connaît : il avait une nature rebelle, il a connu une enfance malheureuse et traumatisante, du simple fait qu’il allait chercher sa mère, alcoolique, dans des bouges épouvantables. Ça doit être terrible, pour un gosse de 15 ans, qui découvre la sexualité… Il y avait également une déchirure, chez cet homme, entre son aspect masculin et son aspect féminin, qu’il n’a jamais réussi à réellement trancher. Et puis, il y a eu deux facteurs déclenchants : la mort de sa mère et le fait qu’il ait réussi à jouer Shakespeare au cinéma. C’était pour lui le but ultime : une fois qu’il avait prouvé ça… Oscar Wilde disait “Il y a quelque chose de pire que de rater sa vie, c’est de la réussir.” Dans son cas, je pense que c’est vrai.

On a le sentiment qu’il semait le malheur autour de lui. On ne compte plus les morts…
… et les tentatives de suicide. Rita Moreno, qui a été longtemps une de ses maîtresses attitrées, a fait de nombreuses tentatives. Elle s’est ratée, Dieu merci, elle est toujours vivante et elle chante toujours ! Brando était quelqu’un qui décelait les faiblesses des gens. Chez les femmes, il n’aimait que celles qui avaient une fêlure et qui n’avaient pas la tête très bien faite… Movita, sa première femme, a, à peu près, résisté. En revanche, Anna Kashfi (la mère de Christian, mort à 49 ans d’une pneumonie, NdlR) a été détruite. C’est une vieille dame, aujourd’hui, qui vit dans une caravane au fond du désert, avec 500 euros par mois.

Les seuls qui s’en sont sortis, ce sont finalement les enfants qui vivent aujourd’hui en Polynésie ?
Les enfants… on ne sait même pas combien il en a eu, au juste. Ceux qui s’en sont sortis le mieux, ce sont les enfants de Tarita. C’était une femme qui n’était pas cultivée, qui était fragile, mais qui a fait preuve d’un amour maternel au-delà du possible. Elle a sauvé, surtout, ses petits-enfants. J’ai un respect et une admiration sans limites pour elle. Elle a traversé l’enfer, cette femme : elle a eu un cancer, Brando lui a tapé dessus, il l’a abandonnée, reprise. Sa fille, Cheyenne, est morte dans des conditions épouvantables… Quel parent peut supporter de retrouver sa fille pendue à un arbre au bout d’une laisse pour chien ? Pour la façon dont elle a réussi à sauver ses petits-enfants, il n’y a qu’un mot : chapeau.

On croise beaucoup d’autres acteurs dans votre livre. Certains pourraient faire l’objet d’un livre à eux seuls ?
Oh, il y en a plein… Il croise, par exemple, très brièvement Ava Gardner. Elle m’a toujours fasciné. C’était une femme d’une beauté stupéfiante. Frigide. Je me souviens être allé au Mexique voir John Huston. Il vivait au bord de la plage et me disait que c’est là qu’il avait tourné La nuit de l’iguane. Ava Gardner était là, avec les mariachis. “Elle s’est tapé tout l’orchestre”, m’a dit Huston. Cette femme qui était la beauté même couchait avec n’importe qui. Et puis, Ava Gardner a quand même eu une histoire d’amour avec Frank Sinatra.


Si Marlon Brando avait une libido dévorante, il n’avait pas à chercher loin pour assouvir sa faim, si l’on en croit François Forestier… Au fil des pages, on découvre (“ Vous, peut-être, mais pas moi ”, sourit l’auteur) que tout ce qu’Hollywood comptait alors comme célébrités a fini, un jour ou l’autre, dans le lit de ce si beau monstre. “ Aujourd’hui, le côté scandaleux est beaucoup moins fort… Quand on apprend que telle actrice s’est tapé son garagiste, ça va faire trois lignes dans un magazine et on ne lui en tiendra pas rigueur… Hollywood a toujours été un lupanar puisqu’elle attire les gens qui ne fonctionnent que par l’image. Derrière cette image, il y a souvent un grand vide. Même si ce sont les hommes et les femmes les plus beaux du monde. L’image que j’utilise souvent c’est qu’Hollywood est un bel égout au soleil.

Ava Gardner, Marilyn Monroe (et pourtant, il n’aimait pas les blondes…) et bien sûr Vivien Leigh feront partie des innombrables maîtresses de Brando. On lit d’ailleurs des choses hallucinantes à propos de cette dernière : nymphomane et schizophrène, sa folie semble s’être cristallisée après qu’elle a partagé l’écran avec Brando dans Un tramway nommé Désir. “Elle sortait la nuit, nue sous un manteau de fourrure, et se faisait passer pour une prostituée. Elle couchait avec n’importe qui…”, raconte François Forestier. “Son mari, l’immense acteur Laurence Olivier, en a terriblement souffert, d’autant que son trône de meilleur acteur du monde lui avait été soufflé par Brando lui-même.

Et s’il aimait le corps des femmes, Marlon Brando ne résistait pas non plus à celui des hommes. Tout en étant, dans ce cas, plus calculateur, selon l’auteur. “Il a reconnu à la fin de sa vie qu’il avait eu des expériences homosexuelles. Pour lui, ça n’avait aucune importance. Sauf que… Ce qu’il ne dit pas dans son autobiographie, c’est qu’il était manipulateur. Quand il est arrivé à Paris, il est tombé dans le milieu gay. Cocteau, les frères Mille. Il a su susciter chez ces hommes un désir extraordinaire, il a su se faire entretenir par eux…


Si Brando a pu être détestable, quand on arrive au bout du livre de François Forestier on ne le déteste plus autant…

Détestable, cela ne veut pas dire qu’on le hait. Et puis, sa fin est particulièrement pathétique…”, confirme l’auteur. “C’est vraiment comme une tragédie grecque : c’est quelqu’un qui a tous les dons, les dieux lui ont fait cadeau d’une beauté inouïe, que l’on a peine à décrire aujourd’hui… Ce que l’on voit sur l’écran, c’est sa beauté et son charme. Mais ce qu’il était dans la réalité, c’était mille fois plus. Il avait la grâce, le talent et qu’est-ce qu’il en a fait ? Quelques beaux films, quelques chefs-d’œuvre au début. Très rapidement, il s’en est désintéressé. Il s’est éloigné de ce monde tout en restant dedans. Il en a dit pis que pendre… Il n’y a pas un film dont il ait dit du bien ! Et puis, il a passé son temps à prétendre que ce métier n’était rien, que lui-même n’était rien. Cet homme qui était d’une beauté et d’une grâce incroyables s’est transformé non seulement en monstre, mais, physiquement, en baleine.

Un cachalot passé de 80 à 180 kilos, confit dans sa graisse, sourd au monde extérieur, retiré dans une maison-forteresse. “C’est une réflexion que m’avait faite Peter Coyote il y a des années… J’y ai repensé, je me suis dit que ce ne serait pas mal d’essayer de comprendre. En plus, j’avais des éléments : j’ai pu aller voir des gens qui étaient encore disponibles pour en parler. C’était le moment de rectifier quelques idées reçues sur ce personnage.

En ouvrant son livre sur le meurtre perpétré par Christian, son fils, contre le petit ami de Cheyenne, sa fille et demi-sœur de Christian, François Forestier plante le décor sans attendre. On y découvre un Brando prenant la situation en main, couvrant l’acte terrible posé par son enfant – à moins d’ailleurs qu’il ne fût lui-même l’auteur du coup de feu fatal –, déplaçant les meubles, effaçant les preuves. “Dès que la police est arrivée, elle a perdu ses moyens parce que Brando les a séduits, charmés. Ils ont perdu leurs moyens et l’enquête a été mal ficelée…

C’est encore dans cette maison que Marlon Brando, toujours vert et toujours guidé par son inextinguible soif de sexe, entretiendra, à la fin de sa vie, une relation avec sa femme de ménage, à laquelle il fera trois enfants. “Brando est mort dans des conditions dramatiques”, conclut enfin l’auteur. “Il était obèse, oublié, sans amis.” Et d’ajouter qu’aujourd’hui il est sans doute en enfer, mais qu’il lui souhaite bon vent.


François Forestier, Marlon Brando, Un si beau monstre, Albin Michel


Isabelle Monnart

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