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Michel Gondry écume la Belgique

Publié le 18 avril 2012 dans Actu ciné

Le réalisateur adapte Boris Vian avec Romain Duris. Reportage exclusif.
"Prost, il est un peu fayot quand même ! - Oui, mais Senna, il croyait en Dieu : il s’en foutait de crever" Ceci - l’aparté - n’a rien à voir avec cela - le tournage de l’adaptation de "L’Ecume des jours" de Boris Vian. Entre deux prises, Romain Duris et Michel Gondry échangent leurs impressions sur "Senna", le documentaire d’Asif Kapadia. Le tournage a commencé il y a un mois, en France, avec, parmi les principaux comédiens, Audrey Tautou, Romain Duris, Gad Elmaleh ou Philippe Torreton.

Depuis le 10 avril, il se tient pour deux semaines en Belgique, où "L’Ecume des jours" est coproduit par Scope Pictures à hauteur de 3,5 millions d’euros en fonds "tax shelter" sur un budget total de 18 millions. Après un tournage à Saint-Gilles (avec quelque mille figurants), l’équipe du film a investi, lundi, les locaux de l’Institut royal du patrimoine artistique (Irpa), au Cinquantenaire, à Bruxelles.

Boris Vian a écrit son roman absurde à la fin des années 40. S’il le transpose dans un univers intemporel, Michel Gondry conserve l’esthétique moderniste du début des Trente Glorieuses : l’Irpa, avec son mobilier et ses fresques "fifties ", s’y prête à merveille. Au 5e étage, même les régisseurs ne savaient plus si les posters didactiques ("La recherche du pétrole" ou "Le forage du pétrole") ou les vieux ordinateurs 80’s faisaient partie des murs ou provenaient de l’équipe déco du film.

Ce qui fait bien partie du bâtiment, par contre, et qui a sans doute été déterminant dans son choix, c’est l’impressionnant escalier en colimaçon qui court sur cinq étages, et sa rampe. Sa rampe ? Elle est creuse, comme une rigole. Or, dans la scène du jour, Colin, le héros du roman de Vian, passe un entretien d’embauche. Le secrétaire qui le reçoit (interprété avec une apparence de robot pince-sans-rire par Francis Van Litsenborgh) utilise un étrange pistolet à air comprimé (qu’on croirait sorti du "Frelon vert", le précédent film de Gondry) pour envoyer le CV de Colin, roulé en boule, au patron. D’où l’intérêt de la rampe-rigole qu’on croirait tout droit sortie de l’imagination de Michel Gondry. Elle sert à ce point ses desseins qu’il ne faudra que deux prises pour filmer la boulette de papier dévalant la rampe - "Rhââââ ! Si c’est pas beau, ça !" s’exclame, ravi, Gondry.

L’air toujours juvénile, même si sa touffe de cheveux bouclés grisonne un peu, vêtu d’une de ses éternelles chemises de bûcheron à carreaux, Gondry est totalement concentré sur son ouvrage. Le réalisateur qui a le mieux concrétisé l’univers intérieur de Björk dans une série magistrale de clips, l’homme de "La science des rêves", rétif aux images de synthèse et adepte des trucages-caméra à l’ancienne ou des accessoires bricolés, travaille dans un chaos organisé.

Tout tournage ressemble à une invasion des Huns : les techniciens encombrent les lieux avec leur matériel, les chefs déco ajoutent un faux mur ici, occultent une fenêtre là... En cela, le plateau de "L’Ecume des jours" ne fait pas exception. Mais Gondry enchaîne les plans, sautant d’un décor à l’autre : on a rarement vu mises en place de scènes aussi rapides, aussi organiques. Pendant ce temps, le personnel de l’Irpa va et vient, jetant en coin un regard mi-intrigué, mi-amusé à ce joyeux capharnaüm au milieu duquel le premier assistant réalisateur Olivier Coutard, avatar de Hugh Jackman version Wolverine dans "The X-Men", peine parfois à imposer le silence.

Ce qui n’empêche pas Gondry de diriger ses acteurs avec précision. Romain Duris, vêtu d’un costume bleu électrique, doit traverser en trombe le bureau du secrétaire, zigzaguant entre des fausses cloisons, avant d’ouvrir une porte sans ralentir. La scène est tournée à vingt images par seconde, sans doute en vue d’un petit effet accéléré à l’écran. Le réalisateur multiplie les prises, cherchant le bon tempo (après le premier jour de tournage en Belgique, confie un des quarante techniciens belges, il a fallu près d’une journée pour vider les cartes mémoires des caméras). Le directeur photo Christophe Beaucarne doit réussir un mouvement circulaire de caméra à 360°, dans un espace exigu où se meuvent trois acteurs - dont un piquant un sprint ! "Super cool, c’est parfait ! On n’aura pas mieux" glousse Gondry après sept prises - c’est finalement peu. A peine le temps de dire "ouf !", on passe du bureau au hall d’entrée. L’équipe suit la manœuvre avec efficacité.

Dirigeant le plus souvent depuis l’arrière du combo (l’écran qui donne le retour image), Gondry n’en essaie pas moins de se placer tant que faire se peut dans l’axe de la caméra, un œil sur l’écran, un autre sur le plateau et les acteurs. Il a une autorité simple : quand, lors de la mise en place un peu complexe des comédiens dans l’escalier, le cadreur, puis Olivier Coutard, y vont de leurs directives à l’un ou à l’autre, Gondry, à genoux par terre, le combo sur les jambes, coupe soudain : "Non, les gars, s’il vous plaît, laissez-moi, je vais trouver". Il a à peine élevé la voix, mais le rappel est clair : le réalisateur, c’est lui, et lui seul sait ce qu’il veut et dirige. Dans son dos, les employés de l’Irpa sortent de l’ascenseur et, entre deux prises, pointent la fin de leur journée, comme si de rien n’était. C’est surréaliste comme du Vian. Ou du Gondry.


Alain Lorfèvre

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