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Philippe Falardeau et la puissance du langage

Publié le 9 mars 2012 dans Cinéphiles

De Locarno à une nomination aux oscars, “Monsieur Lazhar” a été un film coup de cœur. Au Festival du film francophone de Namur, Philippe Falardeau décryptait les nombreux thèmes de son film.
Monsieur Lazhar est le quatrième film de Philippe Falardeau, 43 ans. Le public belge avait découvert ce réalisateur québécois avec Congorama, où il emmenait Olivier Gourmet à la recherche de ses origines dans la Belle Province. Film coup de cœur, que ce Monsieur Lazhar, prix du public aux festivals de Locarno et du film francophone de Namur, et retenu parmi les cinq films étrangers nommés aux derniers oscars. Nous avions rencontré Philippe Falardeau et son délicieux accent, en septembre, à Namur.

Comme dans “Congorama”, vous observez le Québec à travers les yeux d’un migrant…
J’ai appris à faire des films en participant à l’émission "La course autour du monde" au début des années 1980. On voyageait seul avec caméra, et on devait livrer un film par semaine. Le mandat était de comprendre l’endroit où on arrivait à travers nos yeux de migrant. Ce rapport-là était intéressant. En rentrant au Canada, j’ai poursuivi dans le documentaire. Et ma méthode était toujours d’adopter le point de vue de l’étranger. Je voulais qu’on comprenne que derrière le migrant, il y a une histoire, mais aussi un apport potentiel. Bachir apporte un regard différent sur la mort. Ce qui m’intéressait aussi, c’est qu’il ment pour devenir enseignant, mais dit la vérité à la commission d’immigration.

Vous suggérez qu’il devient enseignant pour prolonger la vocation de sa femme.
Il cherche d’une famille de substitution. Il y a un moment dans le film où je brise la convention cinématographique avec un regard caméra des enfants. C’est lorsqu’on apprend ce qui est arrivé à la famille de Bachir. C’est un point de rupture où les enfants de la classe deviennent ses enfants. En poussant la classe à surpasser les tabous autour de la mort, il fait sa propre thérapie.

Ce qui est frappant, vu d’Europe, c’est que de nombreux films québécois abordent le suicide. Est-ce un problème de société ?
Je ne voulais pas aborder ce thème. Lorsque j’ai vu la pièce de théâtre, avec un comédien sur scène, ce que j’en ai retenu, c’est le migrant. Ce n’est qu’après, pour le film, que j’ai dû fouiller cette thématique du suicide. Ce n’était pas mon thème de départ. Mais si ça se retrouve, ce n’est pas un hasard non plus. Nous avons au Québec un des plus hauts taux de suicide. C’est un problème réel. Mais ce qui m’intéresse dans le film, ce sont les vivants.

Les différences culturelles ressortent. Notamment, la législation sur la protection des enfants, qui va si loin qu’un professeur ne peut même plus toucher un enfant. A vouloir les protéger, on finit par ne plus les comprendre…
Cela part d’un bon sentiment au départ. Jusqu’en 1978, on tirait les oreilles des enfants ! Je l’ai connu. Après, on est tombé dans l’excès inverse. Aujourd’hui, même un geste affectif est interdit. On ne peut pas prendre un enfant dans les bras pour le réconforter ! L’anecdote du prof d’éducation physique qui dit qu’il ne donne plus d’exercices au cheval d’arçons parce qu’il ne peut pas toucher les enfants s’il faut les soutenir, c’est authentique.

Ce que dit le prof de gym est métaphorique : peut-on encore aider les enfants ?
Tout à fait. Comment les aide-t-on à trouver leur équilibre personnel. A trop vouloir les protéger, on les rend victimes d’autre chose. Comment entrer en communication avec les autres, apprendre à aimer, évoquer un problème ?

Et sur le tournage, avez-vous été victime de cette législation ?
On a une législation en termes de nombre d’heures qu’ils peuvent prester. Puis, les parents sont présents. Mais une fois que la confiance est établie, les choses deviennent plus simples. Mais c’est moi qui ai eu des problèmes. Emilien Néron, qui joue Simon, venait m’enlacer quand une scène s’était bien déroulée. Au début, j’étais raide comme un piquet. Complètement inhibé ! J’ai eu peur de cette proximité physique, parce que nous, Québécois, sommes conditionnés à l’éviter.

Fut-il facile de trouver des jeunes comédiens, vu le sujet assez grave du film ?
On a travaillé avec des enfants qui étaient déjà en agence de casting. Ce n’était pas des amateurs complets. Après, il a fallu quand même faire des ateliers, car peu d’entre eux avaient une réelle expérience cinématographique. Une coach d’enfants m’a aidé. Elle était en permanence avec eux, et savait comment les guider pour trouver les émotions. Ils comprennent mieux qu’on ne le pense la psychologie des personnages.

Il y a des scènes d’émotions très fortes. Est-il facile de faire pleurer un enfant devant la caméra ?
Non. Avec Emilien, je ne voulais pas qu’il se force. Avant sa grande scène d’émotion, il avait des trucs personnels qui montaient en lui depuis plusieurs jours. Il était stressé et pensait à un drame familial qu’il avait vécu. Ce n’était pas nous qui l’avions amené à y penser. C’est le rôle qui, naturellement, l’avait conduit dans cet état. Je lui ai demandé si, dans le cas où il pleurerait réellement pendant la prise, il souhaitait que je coupe ou non. Et il nous a donné l’autorisation d’utiliser ses vraies larmes. On a travaillé en une seule prise, complètement vraie. Après, il était totalement soulagé. Mais c’est lui qui a fixé les limites. Pour Sophie Nélisse, la petite qui joue Alice, son discours devant la classe fut un vrai travail de comédien. On a tout préparé, chaque regard, chaque respiration. Elle nous a donné un moment de grâce.

Le rapport à la langue est aussi intéressant : Lazhar et les enfants parlent la même langue, mais pas le même langage.
On ne peut pas entrer en communication avec les gens sans la capacité de maîtriser le langage et d’articuler une idée proche d’une émotion. Savoir bien parler, ce n’est pas si sot que ça. On ne célèbre plus les gens qui maîtrisent la langue. On méprise les intellectuels. Bachir dit aux enfants qu’il trouve inutile de leur apprendre une deuxième langue, alors qu’ils ne maîtrisent pas la première. Il a raison.

Pourquoi le changement de titre de “Bachir Lazhar” en “Monsieur Lazhar” ?
Parce que la combinaison de deux noms arabes aurait pu être un obstacle pour certains spectateurs. Et il y avait eu aussi le succès de "Valse avec Bachir" qui pouvait prêter à confusion. Avec "Monsieur", on souligne, en outre, le statut du personnage - qui se distingue des professeurs québécois par sa volonté de maintenir le vouvoiement et la distance formelle avec les élèves.

Alain Lorfèvre

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