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Tautou sur François Damiens: entretien

Publié le 21 décembre 2011 dans Actu ciné

Il peut tout jouer, l’embrouille et un type délicat. Il sort deux films cette semaine. Lundi, “Torpedo” en ouverture du Be Film Festival. Mercredi, “La Délicatesse” avec Audrey Tautou.
Rien à déclarer, François Damiens ? L’hiver dernier, il était derrière le bar avec Karin Viard dans le carton de Dany Boon. Il trouvait deux kilos de coke au printemps dans "Une pure affaire" qu’on ne peut qualifier d’honnête divertissement. En été, des vacances au bord de la mer avec Pascal Rabaté, "Ni à vendre, ni à louer". Et il termine l’année au bras d’Audrey Tautou dans l’adaptation de "La Délicatesse", succès littéraire de David Foenkinos. Comment le faire parler ? On lui sert un thé à la menthe.

Comment avez-vous réagi au scénario de “La Délicatesse” ?
Je ne m’emballe jamais. Je préfère toujours rencontrer les gens qui ont pensé à moi. C’est toujours flatteur donc j’étais heureux. A ce moment, le roman n’avait pas encore connu le succès. Moi, je ne veux pas avoir le rôle à tout prix en me faisant passer pour ce que je ne suis pas. Alors, je trompe la production, je trompe le spectateur et je me trompe moi-même. Je suis venu au rendez-vous tranquillement en essayant d’être le plus naturel possible. Je sentais un désir de leur part. Stéphane Foenkinos avait vu le Doillon, "La Famille Wolberg", mes films plus sérieux. Et David plutôt "L’Arnacœur". Je me suis senti très vite, très bien avec eux, avant même d’avoir lu le scénario.

Vous procédez toujours comme cela, vous rencontrez le metteur en scène avant de lire le scénario ?
Je préfère arriver vierge, le laisser parler. On sent vite si ça prend ou pas, si on se sent à l’aise ou si l’on a envie que cela s’arrête. Les frères Foenkinos m’ont parlé du personnage. Et puis j’ai lu le scénario. Ils ont vu en moi ce que peu de gens avaient vu.

Le Suédois ?
Oui (rires). Je me sens plus proche de Markus que de François l’embrouille. Mais comme j’ai beaucoup joué le type exubérant, vulgaire, de mauvaise foi, les gens se disent que je dois être comme cela. C’est tout le contraire, je me reconnais dans le côté gentil, sincère, humain de Markus.

Séduire avec de la gaucherie, de la maladresse et des pulls beige lignés ; ce n’est pas donné à tout le monde.
Markus séduit malgré lui. La gentillesse n’est pas ce qu’il y a de plus payant, sauf sur le long terme, j’en suis convaincu. En attendant, elle ne fait pas partie de l’arsenal du séducteur digne de ce nom. La délicatesse, beaucoup de gens font des manières car ils n’en ont pas. Souvent les beaux vont avec les beaux et les laids avec les laids. Cette fille, on l’imagine plus avec son patron qu’avec ce type dont personne ne connaît le nom. Cela énerve les gens, c’est quasi de la provoc’. Elle sort des codes.

Après avoir joué “hénaurme”, y-a-t-il un plaisir à jouer modeste ?
Pour être honnête, je prends du plaisir dans les deux cas. Mais Markus est le genre de rôle qui ne permet pas trop d’erreur. Dans ce film, si les personnages ne sont pas justes, il n’y a pas de film, enfin juste une histoire d’amour comme on en a vu des dizaines. Les pulls m’énervaient, les chaussures, la coiffure, je tirais cela comme une caravane. Quand je devais m’habiller en beige le matin, j’avais du mal. Au cours des deux trois premières semaines, j’étais un peu réfractaire. Je me disais, on n’y croira pas. Comment cette femme, avec le charisme qu’elle a, peut-elle tomber amoureuse de ce mec ? Laissez-moi faire un minimum pour être attirant ! Mais les frères Foenkinos disaient “non, non non”. J’ai fini par abdiquer au bout de deux semaines tout en me demandant si c’était crédible ? Je devais leur faire confiance. Ils savaient ce qu’ils faisaient, mais en attendant ce n’était pas naturel pour moi de le faire, de séduire une fille en articulant comme je le faisais avec si peu de mots, habillé comme je l’étais. Je ne me trouvais pas glamour pour un sou, je me demandais si je n’étais pas trop dans le décalé. Et ils me disaient “non, non, non”.

Il a un peu d’humour, heureusement.
Et encore, cela relève plus du décalage que de l’humour, mais cela le rend touchant. Quand il l’emmène dans le restaurant chinois, n’importe qui d’autre serait ringard; lui, il est super touchant. Si j’étais une femme, ce mec me toucherait car il ne change pas. Je trouve ça beau. Comme quelqu’un qui devient très riche et qui reste comme il est. C’est qu’il y a quelque chose à l’intérieur.

Et un type qui devient très connu, il reste comme il est ?
Vous croyez que je ne vous ai pas vu venir (rires). Je me pose beaucoup de questions à ce sujet. Il ne faut pas bouder son plaisir, mais j’essaie de conserver les mêmes valeurs. Le respect, le sens de l’autre, se poser les bonnes questions. “Pourquoi ai-je envie de faire ce film ?” Car il y a un gros chèque, car l’affiche sera immense, car j’ai envie de jouer avec untel. Pour moi, ce ne sont pas des bonnes raisons mais on s’arrange tellement vite avec sa conscience.

Quelle était la bonne raison de faire “La Délicatesse” ?
Le plaisir de pouvoir montrer une facette peu connue de ma personnalité. Je l’ai déjà montrée mais elle n’a pas été regardée car les films furent trop confidentiels. Ici, portée par Audrey Tautou, par le succès du livre, elle a plus de chance d’être vue.

Et entendue avec ce beau dialogue sur l’amour qui fait sortir “la meilleure version de moi-même”.
C’est moi qui ai ajouté cela.

Non?
Non (rires). J’aime beaucoup la façon d’écrire de David Foenkinos. Quand on fait les choses avec son coeur, cela passe toujours mieux. Comme Markus il est super amoureux, il donne la meilleure version de lui-même. Je trouve cela très juste.

Le ciné aide-t-il à donner la meilleure version de soi-même ?
Il ne faut pas se l’approprier quand elle est belle car on ne l’a pas fait tout seul. Quand on rencontre les gens qu’on a sublimés au cinéma, on est souvent déçu car il n’y a plus l’éclairage, le dialogue, la musique. Dans le mot cinéma, il y a cinéma, c’est fait pour faire rêver, ce n’est pas la réalité. Enchaîner film sur film et dire qu’on reste normal, c’est comme un alcoolique qui prétend pouvoir s’arrêter tous les jours. Il y a tellement de bonnes raisons de continuer : “battre le fer tant qu’il est chaud”, “le plus beau métier du monde”, “un projet qui ne se refuse pas”... Tant qu’on prend du recul, on peut prendre du plaisir et en donner aux gens. Quand on ne fait plus que ça, c’est comme être en vacances toute l’année, ce ne sont plus des vacances.

2011 sera tout de même une grande année.
Ce n’est pas le fait de tourner beaucoup, mais de faire des beaux films. Et puis, il y a aussi les caméras cachées qui sortent en France. D’un côté, j’ai l’impression que ça bouge, que j’évolue avec les films. De l’autre, retourner aux caméras cachées, c’est stabilisant. Je me rends compte que j’ai toujours envie d’en faire, c’est aussi une façon de retrouver les vraies gens, d’être hors de l’ambiance cinéma. Cela me fait du bien de m’occuper de la production, de la commercialisation, on est bien dans la réalité.

La réalité, c’est aussi, ce lundi, la projection en ouverture du Be Film festival, de “Torpedo”, premier film d’un jeune réalisateur belge, Mathieu Donck.
Il a été tourné juste avant “La Délicatesse”. C’est un projet qui remonte à deux-trois ans. Une fois de plus, c’est la même démarche. Il m’a contacté pour le rôle, on s’est rencontré, quelque chose est passé. Ce qui m’a intéressé dans le scénario, c’est sa dimension autobiographique. C’est un metteur en scène de 25 ans et il m’a bluffé par sa maturité.


Fernand Denis

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