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Tilda Swinton : "Si le courant ne passe pas entre une mère et son enfant, on n’en parle pas, car c’est un tabou."

Publié le 20 octobre 2011 dans Cinéphiles

La promo nazie de Lars von Trier a coûté le prix d’interprétation féminine à Tilda Swinton pour "We need to talk about Kevin".
Un prix ne souffrait aucune discussion cette année à Cannes : celui d’interprétation féminine. Pour tous, festivaliers comme jurés, un seul nom s’imposait, celui de Tilda Swinton, comédienne exceptionnelle, admirée du public et de ses pairs, mélange subtil d’ambiguïté, d’opiniâtreté, de désarroi dans "We need to talk about Kevin". Pourtant, Tilda est rentrée bredouille, victime collatérale du coup du pub de Lars von Trier en appelant à Hitler pour promotionner "Melancholia". Ne pouvant décerner un prix au réalisateur danois, le jury, sur proposition d’Olivier Assayas, offrit un prix à son interprète, Kirsten Dunst, privant scandaleusement Tilda Swinton de son dû, et le film d’un argument supplémentaire.

On connaît tous l’instinct maternel; ce film parle-t-il de l’instinct de culpabilité ?
Entre autres sujets, absolument. On se sent parfois responsable de choses pour lesquelles on n’a pas de responsabilité. C’est valable aussi pour des événements plus positifs. Des parents croient avoir une responsabilité dans le succès de leur enfant. C’est une erreur de croire que nos enfants sont une extension de nous-mêmes. C’est un peu vrai, mais le fait d’avoir des jumeaux m’a permis de regarder cela de façon un peu plus objective. "We need to talk about Kevin", le livre de Lionel Shriver, a réveillé un sentiment que j’avais éprouvé quelques jours après avoir accouché. J’avais envie d’avoir des enfants, j’ai aimé être enceinte, et j’adorais mes bébés. Je me disais que j’avais beaucoup de chance, car je sentais en moi que cela pouvait très bien ne pas être le cas. Ce livre se saisit de ce sentiment et lui donne des proportions extraordinaires. Que se passe-t-il si le courant ne passe pas entre une mère et son enfant ? Des millions de femmes et d’enfants vivent cela. C’est un cauchemar, mais on n’en parle pas, car c’est un tabou. Pour la société, il existe l’instinct maternel. Mais c’est une erreur de croire que c’est toujours aussi simple.

Le film est passionnant, car il pousse le sujet jusqu’au film d’horreur.
Ce n’était pas le cas du livre qui était un ensemble de lettres d’une femme à son ex-mari pour exprimer son point de vue. Je pense que lorsqu’on adapte un livre, il faut oublier le livre. Le film doit être radicalement différent, car les outils d’expression sont différents. Le film réussit ici quelque chose qui me passionne en tant qu’actrice, mais aussi en tant que spectatrice. Le livre est celui d’une femme qui essaie de s’expliquer, on y trouve notamment une dimension politique. Le film prend le parti opposé, celui de l’inexplicable, d’une femme de plus en plus isolée, qui marche vers une sorte de folie. C’est vraiment cela que j’ai envie de jouer, cette difficulté et puis cette incapacité de communiquer avec les autres.

Les gens la détestent violemment, car elle est la mère d’un “monstre” ?
Je crois qu’une façon de nous débarrasser d’une partie sombre de nous-mêmes consiste à diaboliser certaines personnes. C’est désespérant, mais c’est comme cela. Mais le film n’a pas d’ambition sociologique.

Il y a cette allusion du garçon qui dit : “Ce sont des gens comme moi que les gens regardent à la télé. Ils auraient changé de chaîne si j’étais un élève modèle.”
Le désir de célébrité est devenu très répandu aujourd’hui. A la question "qu’est-ce que tu veux devenir quand tu seras grand ?", beaucoup d’enfants, beaucoup d’ados répondent : "Célèbre." Et quand on leur demande dans quel domaine, ils répondent : "Je ne sais pas, je m’en fous, juste célèbre."

Vous êtes célèbre et vous êtes un modèle pour beaucoup de jeunes actrices. Aviez-vous un modèle dans la profession ?
En fait, je n’ai jamais souhaité devenir une actrice. Si quelqu’un m’a inspiré, c’est Robert Mitchum qui disait : "J’attends le maximum de retour pour le minimum d’efforts." Je n’ai pas conscience de faire une carrière, car, pour moi, chaque film est le dernier, je ne m’attends pas à en tourner un autre ensuite. J’attends que cela s’arrête pour commencer ma vie pour de vrai. J’ai toujours voulu être écrivain. Mais, à chaque fois, le cinéma vient me distraire, et je me laisse entraîner. Je viens peut-être de trouver la solution, j’écris le scénario du prochain film de Luca Guadagnino (avec lequel elle vient de tourner "Io sono l’Amore", NdlR). J’ai aussi un autre projet avec Jim Jarmusch dont on parle depuis un moment.

Qu’est-ce qui vous entraîne vers ces “distractions” ?
Exclusivement la rencontre avec le réalisateur. J’ai commencé comme cela avec Derek Jarman. On a travaillé ensemble pendant neuf ans, on a fait sept films ensemble. Chacun est parti d’une conversation sur un coin de table à la cuisine. A partir de là, on m’a invitée aux Etats-Unis pour jouer des petits rôles dans des films. Ironiquement, je suis plutôt connue pour ces rôles-là (NdlR : "The Beach", "Adaptation", "Vanilla Sky", "Le Monde de Narnia", "Benjamin Button" ou "Michael Clayton" qui lui vaudra un Oscar). C’est un peu comme si j’étais connue pour mes destinations de vacances. Ces films, c’est un peu du tourisme pour moi. Comme si j’avais participé à des fêtes. Je n’éprouve aucune responsabilité vis-à-vis de ces films-là.


Entretien à Cannes - Fernand Denis

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