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Panahi, cinéaste malgré tout

Publié le 19 octobre 2011 dans Cinéphiles

Alors que son dernier film 'Ceci n'est pas un film' sort aujourd’hui à Bruxelles, la condamnation de l’Iranien Jafar Panahi est confirmée. Six ans de prison et vingt d’interdiction de tourner.
L’image est restée gravée dans la mémoire des cinéphiles. Au festival de Cannes 2010, sous le regard embué de Juliette Binoche, une chaise reste vide, celle du cinéaste iranien Jafar Panahi. Il devait être membre du jury. Il est emprisonné en Iran. La chaise restera vide à la Mostra de Venise en août 2010 et à la Berlinale en février 2011

Jafar Panahi a en effet été arrêté en mars 2010 et emprisonné durant trois mois, alors qu’il s’apprêtait à tourner un film sur la réélection mouvementée de Mahmoud Ahmadinejad en juin 2009. Malgré la mobilisation internationale et le soutien apporté par les plus grands cinéastes de la planète, le régime iranien ne transige pas. En décembre 2010, Panahi est condamné pour "activités contre la sécurité nationale et propagande contre le régime". La peine est lourde, très lourde : six ans de prison et vingt ans d’interdiction de faire des films, d’écrire des scénarios, de voyager à l’étranger et de donner des interviews. Un jugement soutenu par la ligne dure du régime mais critiqué jusque par M. Ahmadinejad. "Le gouvernement et le président n’approuvent pas la condamnation", avait ainsi précisé, dès janvier, son directeur de cabinet.

Samedi dernier, la famille de Panahi a fait savoir à l’Agence France Presse qu’une cour d’appel iranienne avait confirmé, il y a quinze jours, ce jugement. Elle a par contre revu de six à un an de prison la peine de Mohammad Rasoulof (prix "Un certain regard" à Cannes cette année pour son film "Au Revoir"), co-réalisateur avec Panahi du projet de film qui leur a valu d’être condamnés ensemble fin 2010.

A 51 ans, Jafar Panahi, fer de lance de la Nouvelle Vague iranienne et l’une des voix les plus vibrantes du cinéma mondial, avec des œuvres majeures comme "Le cercle" ou "Sang et or", satires décapantes de la société iranienne, risque donc de se taire à jamais. Il devient plus que jamais le symbole d’un cinéma iranien durement frappé par la censure d’un régime dictatorial. Depuis la réélection de M. Ahmadinejad, plus d’une dizaine de réalisateurs, acteurs et producteurs ont ainsi été arrêtés pour "propagande contre le régime" ou pour avoir donné "une image négative" du pays.

Hasard du calendrier, la confirmation de la condamnation de Jafar Panahi est tombée quelques jours avant la sortie en Belgique de Ceci n’est pas un film, un dernier et vibrant cri de liberté lancé par le réalisateur iranien. Un film d’une audace inouïe dans lequel il contourne la censure au risque d’aggraver son cas. Refusant l’exil, il a toujours affirmé qu’il resterait en Iran, là où son cinéma a véritablement un sens, et se montre prêt à en payer les conséquences avec dignité.

Œuvre étrange, "Ceci n’est pas un film" - arrivé sur une clé USB au dernier Festival de Cannes, qui lui a consacré une soirée spéciale - a été tourné dans l’appartement de Panahi à Téhéran, où il était maintenu en résidence surveillée en l’attente de l’arrêt de la cour d’appel. Le cinéaste ne peut plus écrire de scénario, ni tourner de film ? Qu’à cela ne tienne, il livrera un non-film. Face à la caméra de son ami Mojtaba Mirtahmasb, qui endosse avec courage la responsabilité de réalisateur - ce dernier s’est d’ailleurs vu confisquer son passeport alors qu’il s’apprêtait à défendre le film à Toronto puis en France, avant d’être lui aussi arrêté le 18 septembre -, Panahi va lire l’un de ses scénarios. Ou plutôt le jouer (on ne lui a pas interdit de "faire l’acteur"), lui donner vie en délimitant, dans son salon, la chambre de sa jeune héroïne où débute le film martyr, en montrant des photos de ses repérages et de ses castings sur son iPhone

Ce qu’enregistre cet étrange documentaire, ouvert au monde extérieur auquel Panahi n’a plus accès (à travers la télévision ou les bruits de la rue qui lui parviennent par la fenêtre), c’est donc l’acte de résistance d’un artiste que l’on tente de faire taire. En même temps qu’un cinéaste au travail. Réfléchissant en direct au film qu’il est en train de faire, Panahi questionne en effet l’histoire du cinéma comme sa propre filmographie. Projetant "Sang et or" ou "Le cercle" en DVD sur l’écran plat de son salon, il revient ainsi sur ce qui fait la force de son cinéma.

Et si, comme son titre l’affirme, "Ceci n’est pas un film" ne peut être un film aux yeux du régime iranien (juste un "effort", précise le générique), il s’agit évidemment d’un film, d’un grand film. Qui passe par toutes les émotions : la rage, le désespoir mais aussi l’humour. Un film-cri dédié à tous les cinéastes iraniens. Même si, à la rubrique des remerciements et de l’aide reçue, la page reste blanche... Glaçant !


Hubert Heyrendt

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