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Michel Hazanavicius et le cinéma muet : interview

Publié le 13 octobre 2011 dans Actu ciné

A propos de The Artist : “Avec les gens que vous aimez, vous n’utilisez pas de mots pour dire les choses importantes.”
A quoi ressemblait physiquement le scénario ? Etait-il très mince ?
Pas si mince que cela, finalement. Comme une nouvelle de 40 pages de didascalies. Généralement, personne n’y fait attention, mais ce scénario, c’était cela pour l’essentiel. Je me rendais bien compte que cela posait un problème. Alors, j’ai réalisé un très bel objet, sur du beau papier, avec des photos et une belle police de caractères. Le scénario n’était pas trop détaillé, il racontait plutôt l’histoire. Je me suis d’ailleurs dit que j’allais faire cela à l’avenir. L’important n’est d’avoir un document détaillé dans les mains, mais bien l’histoire qu’on a envie de raconter. J’avais ma propre version, très ennuyeuse, comme peut l’être la description d’un mouvement. Si je soumettais un projet d’un film muet et que, dejà, le scénario était ennuyeux, personne ne pouvait me faire confiance.

Pensez-vous que certains seront tentés de vous suivre ?
Je ne crois pas, mais qui sait ? Beaucoup de cinéastes cherchent des formes originales pour raconter une histoire. Il y a quelque chose de moderne dans cette façon d’exprimer des émotions. Dans votre propre vie, vous savez que le sourire d’un enfant sera toujours plus émouvant que les mots d’un adulte. Il y a quelque chose de magique dans le cinéma muet. Avec les gens que vous aimez, vous n’utilisez pas de mots pour dire les choses importantes. Vos yeux, une expression du visage, un geste; cela suffit. Le langage est utile dans la vie de tous les jours, mais pas pour les choses importantes. En plus, le cinéma muet est une forme d’utopie, de langage universel accessible à tous comme l’est la musique ou la peinture. Tout le monde peut comprendre ce film.

Murnau a dit : il était inéluctable que le cinéma devienne sonore, mais c’est arrivé trop tôt.
C’est exactement ce que je pense. Le muet est mort trop tôt. Entre 1924 et 28, on tourne un grand nombre de chefs-d’œuvre. Regardez "City Girl", "L’aurore", "Les Rapaces", ce sont des films extraordinaires, très sophistiqués. Moi, je suis un escroc, car je fais le film qu’ils n’auraient pas pu faire, car je profite des 80 années de progrès du cinéma. Mais quand on voit "City Girl" de Murnau, "Les lumières de la ville" de Chaplin, "The Unknown" de Tod Browning avec Lon Chaney (peut-être mon préféré), ils avaient tout inventé. C’est d’une modernité, très créatif sur le plan formel, mais aussi sur le fond. On pense que le muet est prude, conservateur; il n’en est rien, le code Hays ne viendra qu’au début des années 30. Dans les années 20, le cinéma est large d’esprit.

Auriez-vous pu faire ce film sans Jean Dujardin ?
Je vais vous décevoir. Oui, j’aurais pu, mais je ne préférais pas, car je l’ai écrit pour lui et pour Bérénice. Je voulais le faire avec eux, et avec mon chef op’ Guillaume Schiffman, et avec mon compositeur Ludovic Bource. Ce film est le résultat du travail de cette équipe-là. Du côté de la production, puisque l’entreprise était internationale, on aurait préféré avoir un acteur américain, genre Johnny Depp. Mais je voulais Jean.

Parce que son visage est expressif ?
Oui, bien sûr, mais il n’y a pas que le visage, son corps aussi est expressif. Il est très bon en gros plan et en plan large. C’est rare. Certains sont formidables en plan large, comme Steve Martin, un corps de clown, mais il est moins bon en gros plan. Peter Sellers, par exemple, était bon avec son visage comme avec son corps. C’est un cadeau d’avoir un acteur comme cela, je pouvais lui demander beaucoup de choses.

Comment avez-vous travaillé avec le compositeur, la musique guide véritablement les émotions du spectateur ?
Nous avons travaillé en très étroite collaboration. En écrivant, j’écoutais une compile "Treasures of Hollywood" avec les grands compositeurs : Waxman, Steiner, Korngold, Rocza, Hermann, etc. Je me suis immergé là-dedans. Bource n’est pas un compositeur classique. Et quand nous avons vu les premiers rushes, les premières séquences montées, les problèmes ont commencé. Il devait être inspiré par le récit et simultanément répondre à mes demandes précises du genre: "Là, j’ai besoin de 12 secondes de musique très optimiste et, juste après, sentir le suspense qui commence." Et en cours de montage, j’ai dû lui dire : "Je t’avais demandé 12 secondes, mais c’est 18 secondes dont j’ai besoin." Et un peu plus dramatique. En fait, la musique est la main gauche du récit, je ne pouvais laisser libre cours à son imagination. Parfois, la musique doit souligner l’action; parfois, elle doit être contre; parfois, je ne veux pas l’entendre, mais elle doit être là, car le silence est trop dérangeant. Un film muet avec de la mauvaise musique, c’est très énervant.

Le muet laisse-t-il de la place à l’improvisation ?
Dans mon cas, pas beaucoup. D’abord, on avait sept semaines, c’est très peu. D’autre part, le story-board était très précis, le film très préparé en amont. Par exemple, j’ai commandé plusieurs costumes. Plus la carrière de George Valentin dégringole, plus ses costumes sont larges pour donner l’impression qu’il rétrécit. C’est l’histoire d’une chute et d’une remontée. Ce sont des éléments visuels qui aident à raconter l’histoire, beaucoup d’images de lui, beaucoup de miroirs, ça ne s’improvise pas. Mais dans ce cadre-là, les acteurs peuvent faire ce qu’ils veulent. Le cinéma muet est très élégant. Pour montrer que la carrière de Peppy progresse, il suffit de montrer la taille de son nom qui grandit sur les affiches.


Fernand Denis

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