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Rémi Bezançon : "Le mythe de l’enfant-roi me gonfle" - interview

Publié le 29 septembre 2011 dans Actu ciné

A l'occasion de la sortie de "Un heureux événement", le réalisateur du “Premier jour du reste de ta vie” analyse la gestation de ses films.
Rémy Bezançon a tourné "Un heureux événement" en Belgique. "Notamment parce que je voulais un vrai nouveau-né pour l’accouchement. Dans les films, c’est toujours ridicule quand on voit un bébé de quelques mois qui doit représenter un bébé qui vient de sortir du ventre de sa mère. En France, la législation sur le tournage avec les enfants est très stricte et très compliquée. En Belgique, c’est plus souple, même s’il faut aussi respecter une série de règles. Nous avons tourné l’accouchement dans l’aile en rénovation d’un hôpital. Le bébé avait un jour, il pesait 1,7 kilo. On l’a amené de la maternité qui était à l’étage du dessus." Ce genre de détail anodin caractérise le cinéma de Bezançon, un auteur qui assume de faire un cinéma grand public, sans prendre pour autant le public pour des idiots passifs. Approche déjà payante dans "Le premier jour du reste de ta vie" (2008), dont le succès le situe dans un "no man’s land" aux yeux de la critique française, très clivée.

Comment se passe la gestation de vos films ?

Je suis toujours admiratif des gens qui font un film tous les ans. Moi, j’en mets trois. La phase d’écriture est très longue, notamment.

Parce que votre écriture est très précise ?

Je fais un découpage et un storyboard. Ce dernier me permet de réfléchir à ma mise en scène et de visualiser déjà le film. Ce qui ne m’empêche pas de prendre des libertés avec le storyboard pendant le tournage. Mais cet exercice m’oblige à me poser toutes les questions en amont.

Prenons le cas de l’ouverture : vous prenez directement une liberté avec le roman. Comment est née cette scène ?

Je me suis demandé comment créer une scène de séduction qui soit cinématographique. Dans le livre, Nicolas ne travaille pas dans un vidéo-club mais dans une galerie d’art. J’ai essayé de créer un dialogue amoureux original et visuel. J’ai pensé aux jaquettes de DVD et donc, j’en ai fait un gars qui bosse dans un vidéo-club.

Etait-il évident de s’attaquer à ce roman si particulier, si féminin ?

Non. C’est un petit livre avec beaucoup de réflexions philosophiques sur la maternité. La romancière a essayé d’adapter elle-même son livre mais elle n’y est pas parvenue. J’ai utilisé le roman comme du fond et à partir de là, j’ai créé la forme.

Cette nature réflexive du roman a-t-elle imposé la voix off ?

Oui, d’une certaine manière. Pour faire passer tout ce qu’Eliette Abécassis fait passer dans le roman, il aurait fallu que je mette Barbara en présence d’une copine ou d’un tiers à chaque scène pour exprimer ses réflexions. J’ai d’abord essayé d’éviter la voix off. Puis, je me suis dit que c’était idiot de m’imposer cette contrainte.

Le fait de poser un regard d’homme sur une histoire par nature féminine était-il un plus ou un écueil ? Est-ce pour cela que vous avez coécrit avec votre compagne, Vanessa Portal ?

Dans le livre, c’est surtout la relation d’une mère avec son enfant qui est mise en avant. Le personnage du père est moins présent. Mais Vanessa et moi avions vraiment envie de parler du couple. Nous avons développé Nicolas. Vanessa a contribué à maintenir la crédibilité de Barbara.

Autre différence : vous n’avez pas d’enfant…

Non. Et je crois que je n’aurais pas pu écrire ce film en ayant déjà un enfant. Parce que j’aurais greffé mon expérience sur le récit. Ici, ça reste notre fantasme, inspiré de l’expérience d’Eliette Abécassis. Même les comédiens que j’ai choisis n’ont pas d’enfant. C’était aussi ça qui était intéressant.

Mais ce fantasme prend la forme d’une démystification.

Ah oui, tout à fait. Il y a un côté qui me gonfle aujourd’hui, c’est le mythe de l’enfant-roi, de l’enfant-sacré. On ne peut pas critiquer l’enfant ou la maternité. Une femme n’a pas le droit de se plaindre, de dire qu’elle en marre d’être enceinte ou jeune mère. Quand le livre est sorti, beaucoup de femmes ont été ravies que soit brisé ce tabou. J’ai moi aussi reçu des témoignages de femmes heureuses qu’on parle dans un film de la rééducation périnéale ou de l’épisiotomie. On aborde ça de manière tragi-comique, pour un peu alléger les choses.

Le gros écueil sur ce genre de film, c’est de rendre crédible une actrice qui n’est pas enceinte. Tout le monde ne peut pas faire comme Ozon et filmer une comédienne réellement enceinte…

Non, et je voulais être le plus réaliste possible. Pour la prothèse de Louise, figurant son ventre, on lui mettait une prothèse en silicone très fin. Cela représentait cinq heures de maquillage. Idem pour l’allaitement. Quand on écrit dans le scénario : "Barbara donne le sein", c’est facile. A l’écran, ça devient souvent une amorce sur l’actrice, puis un cut et une image sur le bébé tétant le sein d’une doublure. Moi, je voulais qu’on voie dans le même plan Louise et le bébé qui la tête. Ce n’était pas simple. Mais je crois qu’avoir un bébé lui tétant réellement le sein a eu une influence sur l’interprétation de Louise.

A l’inverse de ce parti pris de réalisme, les deux appartements sont des décors de studio. Pourquoi ?

Pour ce film, c’était obligatoire. D’abord, parce qu’on avait besoin d’une nursery sur le plateau. Donc, avec un décor et un plateau, c’était plus simple à gérer. Et puis, je voulais pouvoir enlever un plafond, un mur si nécessaire. Cela ne coûte pas beaucoup plus cher que de tourner en décor réel.

Dans le cinéma français, on a le sentiment d’un grand clivage : cinéma d’auteur d’un côté, de l’autre, le cinéma commercial. Vous êtes…

Au milieu. Je n’ai pas ma carte "auteur" et je ne suis pas catégorisé "comédie à un million d’entrées".

Est-ce facile ?

Non, parce que ce sont des clans. Et il faut choisir son clan. Moi, je me considère comme un auteur mais je veux faire du cinéma populaire. Le problème du cinéma français, en général, c’est qu’il est très littéraire. Au point que parfois on se fout de la mise en scène. Aux Etats-Unis, ou en Asie, ils ont une vraie culture de l’image à l’écran. En France, c’est étrange, mais on a des difficultés avec ça. Le texte, les mots, dominent. Mais ça commence à changer.

Quand vous écrivez, vous mettez-vous à la place du public ou des personnages ?

On doit tenir compte du public parce qu’il y a de l’argent en jeu. C’est le paradoxe de cet art qu’est le cinéma, qui est aussi une industrie et qui coûte cher. En France, c’est un tabou. On ne parle pas d’argent -ou alors, on en parle trop. Les Américains, encore une fois, sont décomplexés par rapport à ça, et réalistes. On peut faire au sein de l’industrie des films magnifiques, avec un propos intéressant, sans perdre de vue le public. Il ne faut pas perdre le public quand on fait un film. Cela ne veut pas dire formater ou faire un film qui plaira à tout le monde. Mais, au minimum, garder ceux qui font l’effort de se lever de leur canapé pour venir au cinéma. Cela étant dit, je suis mon premier spectateur. Je fais les films que j’ai envie d’aller voir. J’ai du respect pour le public. Certains le voient comme des idiots, d’autres comme des portefeuilles. Moi, je les vois comme des gens comme moi : qui ont envie de rigoler, de pleurer et de rêver.


Alain Lorfèvre

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