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Sidney Lumet meurt à 86 ans, dont 80 de carrière

Publié le 11 avril 2011 dans Actu ciné

Le mythique réalisateur de “Douze hommes en colère” et “Un après-midi de chien”, est décédé samedi des suites d’un cancer, chez lui à New York. Ville qu’il n’a jamais cessé de filmer. Trajectoire
"Before the Devil knows you're dead" ("7h58 du matin"). Voici trois ans à peine, Sidney Lumet signait encore un formidable thriller, transformant un fait divers banal - le braquage d'une petite bijouterie - en authentique tragédie. Car, sous les masques des braqueurs, se cachaient les enfants du couple de bijoutiers. Fusionnant thriller et mélodrame, Sidney Lumet troussait là, en compagnie de Philip Seymour Hoffman et de Ethan Hawke, son ultime chef-d’œuvre, 50 ans pile après son tout premier en 1957 : "Douze hommes en colère". C’était alors le début de sa carrière cinématographique, et pourtant Sidney travaillait déjà depuis bien longtemps, depuis les années 30.

Sidney Lumet est né à Philadelphie, en 1924, dans une famille modeste. Son père écrivait et jouait un feuilleton radio quotidien en yiddish, dans lequel sa maman incarnait le personnage féminin. Dès qu’il fut en mesure de le faire, vers quatre, cinq ans, Sidney joua l’enfant. De son feuilleton, papa Lumet tirait chaque année une pièce de théâtre à laquelle Sidney participe depuis l’âge de sept ans. Quand un théâtre cherche un enfant, son père ne manque jamais de recommander son gamin. Sidney sera ainsi à l’affiche d’une dizaine de pièces à Broadway au cours des années 30.

Il grandit ainsi sur les planches, s’y fait des amis, notamment Yul Brynner, qui le recommande en 1950 à la CBS. La chaîne de télévision américaine recherche des metteurs en scène formés au théâtre pour tourner des dramatiques en direct. Sidney Lumet est engagé en même temps que Robert Mulligan ("Un été 42") et Arthur Penn ("Bonnie and Clyde"). Dès lors, Sydney Lumet va apprendre le métier de réalisateur en travaillant à un rythme d’enfer : deux dramatiques d’une demi-heure chaque semaine. En gros, il a simultanément huit émissions dans la tête. Il répète l’une le matin et tourne l’autre l’après-midi ; il s’occupe des décors et des costumes pour celles de la semaine suivante ; il fait passer les castings pour celles de la semaine d’après et il travaille sur les scénarios des deux qui seront tournées dans trois semaines. Sidney va mettre ainsi des centaines d’émissions en boîte.

Il fait le break, en 1957, quand Henry Fonda lui confie la réalisation de "Douze hommes en colère". Du sur-mesure pour lui, puisqu’il s’agit de réaliser le film en trois semaines dans un décor unique.

Le long métrage marquera les esprits et, un demi-siècle plus tard, Sidney Lumet compte une filmographie de 44 titres. Une longévité et une production qui impressionnent par ses chefs-d’œuvre comme "Serpico" ou "Dog Day Afternoon". Toutefois, ce bourreau de travail n’a pas l’aura d’un Arthur Penn ou d’un Sydney Pollack. Certes, sans être capable du pire, une filmo aussi prolixe compte forcément son lot de pellicules médiocres. Mais, surtout, il n’est pas évident d’identifier un film de Lumet. Visuellement en tout cas, car pour le reste son œuvre comporte de solides lignes de force.

La plus évidente est commune avec son confrère Woody Allen : Hollywood ne l’intéresse pas, seul New York le passionne. Et plus particulièrement la violence urbaine. Ses meilleurs films sont le plus souvent des films criminels - "Before the devil knows you’re dead" ne fait pas exception - car c’est le moyen pour faire apparaître les maux de la société. Efficace, il n’échappe pas aux lourdeurs quand il se veut moralisateur dans "Network", "The Hill" ou "Verdict". Il excelle plutôt lorsqu’il n’affiche pas ses intentions sur le racisme dans "Le Prêteur sur gages", la corruption ("Serpico"), la complaisance médiatique ("Dog Day Afternoon"), la technologie ("The Anderson Tapes") ou la cupidité dans "Before the Devil"...

"Le thème de la cupidité fonctionne très bien dans les films", déclarait Sidney Lumet venu présenter "Before the Devil " au festival de Deauville en 2007. "Ici, la cupidité détruit une famille. Ce qui m’intéressait, c’était de montrer qu’une décision peut faire boule de neige, balayer toute morale, embarquer tout le monde dans la catastrophe. Je trouve cela à la fois très vrai et très "divertissant". Parce que, d’une certaine façon, nous aimons les monstres, nous savons qu’ils existent au fond de chacun de nous. Dans le script original de Kelly Masterson, les deux personnages n’étaient pas des frères et, dès lors, le thriller était conventionnel. J’en ai fait des frères, car j’étais davantage séduit par l’idée de mettre en scène un drame familial plutôt qu’un film policier."

Autre ligne de force de d’œuvre de Sidney Lumet, son attachement aux décors réels. Cette obsession est paradoxale, étant donné son parcours théâtral et sa capacité à tourner un film dans un décor quasi unique. Pacino passait 95 % du film dans une agence de banque dans "Un après midi de chien".

Qui dit Pacino, dit une autre caractéristique du cinéma de Lumet, son goût des grands acteurs. Tous ses films, ou presque, sont portés par des stars : Pacino bien sûr mais aussi Paul Newman  ("Verdict"), Faye Dunaway ("Network"), Nick Nolte ("Q & A"), etc. "Parce qu’un bon film se mesure à son intensité, et ce sont les acteurs qui apportent cette intensité. Donc, j’essaie toujours d’avoir les meilleurs acteurs. Ce ne sont pas forcément des stars. J’admire depuis longtemps le travail de Philip Seymour Hoffman au théâtre. J’étais ravi qu’il accepte le scénario. Toutefois, il hésitait entre le rôle du fort et celui du faible, car il faut un acteur solide pour jouer un faible. Jouer la faiblesse, c’est une composition."

Si de Henry Fonda à Philip Seymour Hoffman, en passant par Gene Hackman ("Les Coulisses du pouvoir") ou Michael Caine ("Piège mortel"), la crème des acteurs est passée devant sa caméra, il en est un qui est repassé plus souvent, c’est Sean Connery, l’un de ses meilleurs amis, qu’il a fait tourner dans "Family Business" (1989), "The Offense" (1972) ou "Le Crime de l’Orient Express" (1974).

Bien qu’ayant réalisé plusieurs monuments du cinéma des années 70, dont "Serpico" et "Un après-midi de chien", ce réalisateur marquant de la deuxième moitié du XXe siècle ne comptait pas le moindre oscar sur sa cheminée, en dépit de cinq nominations.

En 2005, un oscar d’honneur lui fut décerné pour l’ensemble de sa carrière. En le recevant des mains d’Al Pacino, il déclara : "J’ai le meilleur emploi dans la meilleure profession au monde."


Fernand Denis - La Libre Belgique

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