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Hommage : Rohmer, un cinéma en quête d’hauteur

Publié le 12 janvier 2010 dans Actu ciné

Issu de la Nouvelle vague, Eric Rohmer incarne le cinéma d’auteur. Il livre au dictionnaire un adjectif de charme et très féminin : rohmérienne.
"Après ce film, je crois que je prendrai ma retraite", avait déclaré Eric Rohmer, lors de sa présentation au Festival de Venise en 2007 des "Amours d’Astrée et de Céladon". Cette figure de proue de la Nouvelle vague est décédée lundi à Paris à l’âge de 89 ans. Né à Tulle, dans le centre de la France, le 4 avril 1920, Eric Rohmer enseigne la littérature avant de se consacrer à la critique cinématographique. En quelque cinquante ans, il a signé vingt-quatre longs-métrages, un documentaire sur les films Lumière et des programmes scolaires. Il a été couronné du Prix Louis-Delluc et d’un Lion d’Or à Venise pour "Le rayon vert" (1986)

Godard, Truffaut, Chabrol; des quatre mousquetaires de la Nouvelle vague, Eric Rohmer est assurément celui qui incarne le cinéma d’auteur dans toute sa profondeur, sa pureté, sa longévité sa hauteur. Si Truffaut a glissé vers le cinéma charmeur, Chabrol du côté du cinéma farceur et Godard incarne le cinéma poseur, Rohmer n’a jamais dévié de sa politique des auteurs dont il a une idée très précise.

Critique dans différentes revues, il succède en 1958 à André Bazin à la tête des "Cahiers du Cinéma", la pépinière des cinéastes de la Nouvelle vague à l’heure du tsunami dans l’histoire du 7e art. En effet, 58 est l’année du "Beau Serge", premier long métrage de Chabrol, 59 celle de "A bout de souffle" de Godard et des "400 coups" de Truffaut. Rohmer, qui manie la caméra depuis 1950, devra attendre 1969 pour connaître son premier succès public, "Ma Nuit chez Maud".

Pourtant, en 59, il tourne lui aussi son premier long-métrage, "Le Signe du lion". C’est un film étonnant dans la mesure où il ne correspond pas à l’idée du film originel, de la matrice d’une œuvre aussi cohérente, construite, réfléchie que celle d’Eric Rohmer. Un Américain vivant la bohème à Paris, apprend qu’il va toucher un gros héritage. Il invite tout le monde à faire la fête. Mais le lendemain, on l’informe que son cousin a tout hérité, il est donc ruiné. C’est l’été, Paris est déserté, il erre sans le sou et finit clochard.

La misère, voilà bien un thème qu’on ne retrouvera guère dans la filmographie d’Eric Rohmer. En revanche, il y déploie sa carte de Paris que notre Américain arpente en tous sens à en user ses chaussures. On respire à pleins poumons l’air du temps du Paris de la fin des années 50, celui des Peugeot 203, des bus qu’on attrape au vol, de Saint-Germain-des-Prés, tant la caméra de Rohmer se veut documentaire pour ce qui est de la vie quotidienne.

Autre dimension : la Foi. On sait Rohmer catholique et son personnage, lui, croit dans les astres, dans son signe du lion. Sa foi sera exaucée. Non seulement le film mettra trois ans pour trouver le chemin des écrans, mais l’échec sera retentissant.

Le réalisateur en tirera une leçon fondamentale pour la suite de sa carrière : le prix de revient d’un film doit être inférieur à ses recettes potentielles. Sa liberté d’auteur est à ce prix.

Avec son ami Barbet Schroeder, il fonde en 62 une petite maison de production, "Les Films du Losange" — elle existe toujours et vient même de décrocher la Palme d’or avec "Le Ruban blanc" de Michael Haneke. Il se lance alors dans la réalisation de six contes moraux. Budget oblige, les deux premiers, "La boulangère de Monceau" (quartier les rédacteurs des "Cahiers" aimaient discuter aux terrasses des cafés) en 62 et "La carrière de Suzanne" en 63, sont tournés en 16 mm et connaîtront le même sort que "Le signe du lion". Eric Rohmer travaillera ensuite quelques années pour la télévision scolaire avant d’en revenir à ses contes : "La collectionneuse" en 67 (Ours d’argent au festival de Berlin) et "Ma nuit chez Maud", son premier succès public.

L’ambition de ces contes moraux, écrits par Rohmer dans les années 40, n’était pas de livrer un conte avec une morale comme on pourrait le croire mais bien un récit, comédie estivale pour "La collectionneuse" ou chronique hivernale pour "Maud", qui confronte un personnage à sa propre exigence, à sa vision du monde.

A chaque fois, Rohmer donne l’occasion d’assister à cette confrontation au moyen de la voix off qui permet au spectateur de suivre objectivement l’action tout en bénéficiant de la voix intérieure, de la subjectivité du personnage. Autant la préciosité chichiteuse du questionnement moral d’Adrien (Patrick Bauchau) prête à sourire tant il relève du coup de soleil de St-Tropez sur une tête de dandy; autant l’affrontement entre Jean-Louis Trintignant le catholique et Françoise Fabian la libre-penseuse autour du pari de Pascal est un moment incomparable d’intelligence pure, d’émotion singulière, de grâce cinématographique. Rohmer ne retrouvera pas cet état avec les beaux discours libertins de Brialy à propos du "Genou de Claire". Mais "L’amour l’après-midi" conclut les contes moraux maîtresse façon.

Dès lors, les traits de l’auteur Rohmer sont identifiables. Alors, ce n’est pas un auteur mégalomane à la Welles ou Godard, qui ne néglige aucune occasion de se montrer. Rohmer, au contraire, organise la pénurie. Son nom est un pseudonyme, sa vie privée est bien gardée, son visage est pratiquement inconnu. Ce n’est pas non plus un auteur dans le sens formel, qui poinçonne chacun de ses plans à la façon d’un Angelopoulos ou d’un Kaurismaki. Bien au contraire, même si l’image rohmérienne bénéficie souvent de l’exceptionnel chef opérateur Nestor Almendros, elle n’en reste pas moins banale, fonctionnelle, sans autre intention que de montrer platement ce que le réalisateur veut montrer.

En revanche, les acteurs, et plus singulièrement les actrices, ont quelque chose de rohmérien, une sorte d’inaptitude à l’art dramatique qui ne manque jamais de charme. Des comédiennes qui jouent "décalé", pour ne pas dire faux, cela devient même une marque de fabrique de son cinéma. Et le succès de "Ma nuit chez Maud" avec des comédiens de première force, Trintignant et Fabian, n’y a rien changé. D’ailleurs, si Eric Rohmer a mis sur les rails quantité de comédiens - Fabrice Luchini, André Dussollier, Pascal Greggory, entre autres -, ses comédiennes ont rarement existé en dehors de ses films, sauf Arielle Dombasle, bien entendu, qui a construit toute sa carrière sur le surjeu.

Fernand Denis

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