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De Palma, cinéaste double : entretien

Publié le 13 février 2013 dans Cinéphiles

A Venise, Brian De Palma présentait en Compétition "Passion". Où le cinéaste américain renoue avec le thriller, genre dont il a été l’un des maîtres au début des années 80. L’occasion de revenir avec lui sur sa filmographie.
Présenté en compétition à la Mostra de Venise, "Passion", qui sort ce mercredi sur nos écrans, a été accueilli assez froidement sur le Lido en septembre dernier. Brian De Palma n’a déjà pas bonne réputation en interview, on s’assied face à un cinéaste plus bougon que jamais, sur la défensive, cassant. Néanmoins, en une petite heure, il finit par se livrer sans détour sur sa carrière.

Grillé à Hollywood depuis l’échec commercial de "Mission to Mars" en 2000 - même s’il a, depuis, tourné "Le Dalhia noir" et "Redacted" aux Etats-Unis -, Brian De Palma se tourne vers l’Europe pour financer ses projets, comme "Femme fatale" en 2002. C’est d’ailleurs son agent français qui lui a envoyé une copie de "Crime d’amour", le dernier film d’Alain Corneau en 2010. De Palma justifie ce remake : "Vous croyez qu’on se dit : Tiens, je vais faire un film sur le 2e Livre de la Bible, et que l’argent va tomber du ciel ? Ce n’est pas comme ça. C’est très difficile de faire un film. Parfois, quand vous fait un hit, c’est plus facile mais tout le monde passe par des hauts et des bas. Cela faisait longtemps que je n’avais plus fait de thriller et j’aimais bien l’idée de départ..."

Coproduction franco-allemande, "Passion" a été entièrement tourné à Berlin, ce qui ne dérange pas le réalisateur américain. "J’ai filmé les moindres recoins de New York et tourné dans les principales villes américaines. C’est moi qui a amené ‘Mission impossible’ en Europe parce qu’à l’origine, c’était écrit pour le Midwest. Je leur ai dit : pourquoi ne pas amener cela en Europe ? Il y a des décors intéressants, de bons acteurs..."

Il a beau avoir réalisé des films cultes comme "Carrie" ou "Scarface", pas facile pour De Palma de continuer à faire les films dont il rêve. A 72 ans, il prend ceci dit cela avec philosophie. "A mon âge, si on se réveille et que le soleil brille, c’est une bonne journée. On est juste heureux d’être en vie Après, j’ai plein d’idées. J’adore travailler. J’ai fait des films toute ma vie. Et quand je regarde en arrière, j’ai l’impression d’avoir tout fait. J’ai commencé avec des petits films indépendants. J’ai été à Hollywood, ça a été catastrophique, j’ai été viré. Puis j’ai connu mon premier succès avec ‘Carrie’ alors que c’était mon 10e film. Dans les années 80, j’ai fait des thrillers originaux, ‘Scarface’... Mais dans les années 90, après ‘Mission impossible’, le plus gros budget qui m’ait été confié (100 millions de dollars), je me suis dit que c’était trop. Je suis alors allé en Europe pour refaire des petits films indépendants. Quand vous faites des films qui coûtent si cher, vous avez tout le temps des réunions, vous devez tout expliquer à un producteur exécutif qui n’a qu’une demande : ‘Pouvez-vous faire ça moins cher ?’ Maintenant, mes films coûtent 2 millions de dollars. Je ne suis plus intéressé dans ces formats..."

Mais De Palma est en tout cas heureux qu’on continue de lui parler encore et toujours de "Scarface" ou de "Carrie", icônes de la pop culture. "Quand on a un film qui dure aussi longtemps, on touche du bois. Qu’on continue à parler de vos films 30 ans après, c’est que vous avez dû faire quelque chose correctement. Combien de films sont complètement oubliés ? Je n’arrête pas de penser à la Nouvelle Vague anglaise dans les années 60 et 70. Qui, à part moi, se souvient d’un de ces films, de ces réalisateurs ? Quand vous avez un film dont les gens se souviennent, quelle que soit la raison, vous en profitez... Pensez à Hitchcock. On ne parle que de ‘Psycho’ qui, basiquement, était un petit film tourné avec son équipe télé. Alors que ‘Vertigo’, sur lequel il a énormément travaillé, a été un échec..."

Un cinéaste incompris

Orgueilleux, De Palma ne cache pas qu’il souffre de la façon dont ses films ont été reçus, par rapport à un Terrence Malick par exemple... "Je pense que j’ai été le réalisateur le plus bizarrement reçu de ma génération. Quand je pense à la façon dont on a critiqué mes films à leur sortie qui, 20 ans plus tard, sont chéris comme des chefs-d’œuvre... Pour ‘Scarface’, j’ai vu le public se lever et partir en masse... Je me souviens que le ‘New York Times’ a démoli ‘Greetings’ en 1968. J’ai cru que c’était fini. Je ne cherche pas les bonnes critiques mais, parce que je suis avant tout un réalisateur visuel, pas dans l’explication, les dialogues, les scènes dramatiques, je suis très souvent mal interprété..."

Légèrement aigri, le cinéaste n’aime pas, non plus, qu’on le résume à un disciple d’Hitchcock ou que l’on évoque ses "signatures", comme les doubles, le "split-screen", les scènes de douche... "Cela m’agace. Je travaille dans tous les genres possibles. Je ne fais pas tout le temps le même film de Brian De Palma. Qu’est-ce qu’il y a de De Palma dans ‘Les incorruptibles’, ‘Scarface’ ou ‘Mission to Mars’ ? C’est vrai que je fais un certain type de thrillers, que j’ai commencé à faire dans les années 70. Mais si à chaque fois que je filme une douche, c’est une ‘signature’... Les acteurs donnent juste bien sous l’eau. Que puis-je dire ? Je suis Brian De Palma. Je vois les choses d’une certaine façon et je les transpose à ma façon. Cela revient sans cesse parce que je suis qui je suis, que j’ai ces images dans mon inconscient. Pourquoi cette chaise rouge toujours dans un coin ? Pourquoi ces jumeaux ? Je ne sais pas. Ce à quoi je pense vraiment, c’est à comment filmer telle chose, à la relation aux objets..."

Un cinéaste visuel

Qu’il le veuille ou non, la scène-clé de "Passion" (et la seule vraiment réussie) est une vraie "signature" De Palma, un "split-screen" virtuose sur une représentation du "Prélude de l’après-midi d’un faune" de Debussy. "J’aime ce ballet, que j’ai toujours voulu mettre dans un film. Ce que je voulais avec cette scène, pour que la fin fonctionne, c’est que le spectateur soit certain que Noomi était au ballet pendant le meurtre et qu’il ne la suspecte pas. Mais c’était purement expérimental. La juxtaposition des images, la façon dont on les a montées, c’était totalement instinctif. Je n’avais jamais vu un meurtre filmé comme ça. Je trouvais cela fascinant."

Grand styliste, Brian De Palma s’est toujours concentré sur l’aspect visuel de ses films. "Passion" n’échappe pas à la règle, même si le fond passe cette fois au bleu au profit de la forme "Je ne suis pas un grand admirateur des caméras à l’épaule qui bougent tout le temps. C’est censé rendre cela plus réel ? L’acteur sera-t-il meilleur ? Je pense qu’on a perdu le sens de la beauté au cinéma et chaque fois que j’ai l’occasion de le retrouver, je le fais."

Réalisateur formaliste, baroque souvent, expérimental parfois, De Palma aime aussi jouer avec les codes du thriller. Tandis qu’il pratique régulièrement le remake ou la relecture de classique. "Passion", adapté de Corneau, n’échappe pas à la règle. "Pourquoi refait-on sans cesse Shakespeare ? Si l’on a un bon matériel de base, une bonne structure. ‘Scarface’ est basé sur un script du début des années 30. Oliver (Stone, NdlR) a placé cela chez les réfugiés cubains. C’est une bonne idée ! Certains remakes sont de mauvaises idées, pas celui-là... "

Pour reprendre le rôle de Ludivine Sagnier dans le film de Corneau, De Palma a choisi Noomi Rapace, révélée avec la trilogie suédoise "Millenium", tandis que la jeune Rachel McAdams (vue notamment dans "Minuit à Paris" de Woody Allen) se substitue à Kristin Scott-Thomas. "Les filles sont arrivées sur le plateau avec une idée assez précise de comment elles voulaient interagir. Elles se connaissent bien, elles ont travaillé ensemble sur ‘Sherlock Holmes 2’. Elles ont le même âge, alors que Scott-Thomas est plus âgée que Sagnier. Elles ont donc joué complètement différemment, même si elles ont beaucoup de dialogues identiques."

Un titre évocateur, une brune et une blonde, une relation fétichiste : on retrouve dans "Passion" l’érotisme cher à De Palma, même s’il ne filme aucune scène de nudité. "Les filles n’avaient aucun mal à se dénuder. On a d’ailleurs tourné quelques scènes. Pour la scène dans la chambre d’hôtel, je leur avais donné une caméra pour qu’elles se filment, seules, comme dans le porno, d’un point de vue subjectif. Et croyez-moi, elles ont fait quelques trucs sauvages ! Mais j’ai coupé et coupé Je trouvais que ce n’était pas juste, pas approprié. C’est une histoire de meurtre mystérieux. Et puis, c’est un film sur les femmes pour les femmes. Je ne pense pas que les femmes aiment les scènes érotiques trop explicites..."


Hubert Heyrendt, Entretien à Venise




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