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Ken Loach, grand prix du Jury : Entretien à Cannes

Publié le 27 juin 2012 dans Actu ciné

Le nombre de jeunes chômeurs vient de dépasser le million en Angleterre. Et ils sont regardés comme des profiteurs du système.
Quand il cessera de tourner, ce qui, Trotsky merci, ne risque pas d’arriver, Ken Loach pourra toujours se reconvertir comme guide à Cannes. Avec "La part des anges", il en est à sa 17e participation au Festival où tout le monde l’aime. Pour sa modestie, son engagement, sa générosité, sa chaleur humaine et surtout ses films. C’est toujours un plaisir de rencontrer cet homme si affable, limite timide mais tellement déterminé. Une force tranquille.

Cette année, on a appris que Wes Anderson faisait partie du cercle de ses admirateurs. Le réalisateur de "Moonrise Kingdom" considère Ken Loach comme une de ses influences majeures. "Kes" a changé son regard. D’ailleurs, ne peut-on pas voir "La part des anges" comme une nouvelle version de "Kes" ?

"Personnellement, je n’y ai pas pensé un instant. Certes le whisky peut être regardé comme une métaphore, comme l’oiseau de "Kes" est une métaphore de la liberté, mais cela ne m’est apparu qu’après. En fait, je traite très souvent des mêmes thèmes, d’une société, d’un système économique qui n’offrent pas une vie décente à des millions de personnes. Quand un bébé naît, il a des talents, des possibilités mais dans certains quartiers, le système ne les conduit nulle part et laisse des milliers de jeunes de côté. Le nombre de jeunes chômeurs vient de dépasser le million en Angleterre. Certes, la vie, ce n’est pas que le travail, mais cela donne un statut, on existe dans le regard des autres. Ces jeunes sont regardés comme des profiteurs du système. Quelle estime de soi peuvent-ils avoir ?"

La différence, c’est que Ken Loach a abordé ce thème familier sur le ton de la comédie, avec un côté léger, une dimension optimiste. Le conte de fées n’est pas loin, même s’il préfère les anges. Ken Loach a-t-il changé, est-il, cinquante ans plus tard, toujours un angry man ? "J’ai cherché un équilibre entre la comédie et le drame. L’idée était de commencer assez sérieusement pour devenir ensuite de plus en plus léger alors que les protagonistes sont de plus en plus excités par leur projet. Le challenge du film, c’est de faire sentir le trajet de Robbie, de montrer combien il était aliéné par la violence, sans toutefois le couper du public. Il faut que le public souhaite qu’il s’en sorte. En cela, la scène où il est confronté à sa victime est fondamentale. Il est confronté, devant sa compagne, à la partie la plus noire de son être. Cela l’aide, cela le force à s’engager afin de ne plus jamais se retrouver dans cette situation humiliante. Mais comment sortir de cet univers ? Comment échapper au regard des autres ? Pour le père de sa compagne, il sera toujours un voyou sans avenir.

Pour moi, les méchants sont toujours les mêmes, ce sont les patrons des banques, des grosses entreprises qui sont responsables du chômage. J’entends les Français dire "le changement, c’est maintenant". François Hollande ne va pas changer grand-chose car c’est un sociodémocrate qui travaille dans le système. Pour avoir un changement, il faut un mouvement capable de le penser, de l’organiser. Je crois que beaucoup de personnes ressentent ce besoin d’un tel mouvement, mais pour l’instant, je ne vois rien venir. Franchement, je ne suis pas très optimiste, et le film ne l’est pas tellement, je n’en vois qu’un seul sur les quatre qui va s’en sortir."

Et grâce au whisky. Ken Loach l’apprécie-t-il autant que le football ?

"Pas du tout. Cela m’arrive d’en boire de temps en temps, mais c’est plutôt rare. D’ailleurs, j’ai appris qu’il fallait plutôt le respirer que le boire, c’est avec le nez qu’on apprécie toutes les subtilités d’un whisky. Mais ce qui est vraiment étonnant avec le whisky, c’est que la plupart de ces jeunes des quartiers défavorisés de Glasgow n’en ont jamais bu. Ils n’ont jamais vu une distillerie non plus, ne sont jamais allés à la campagne de leur vie. Ils ne sont jamais sortis de Paisley."

A l’heure où l’Angleterre se préparait à la grande fête en l’honneur d’Elisabeth II, c’était l’occasion de demander à Ken Loach pourquoi il avait refusé d’être anobli par la Reine ? "C’était, il y a longtemps, vous savez. J’ai refusé de faire partie des méchants. La plupart des gens anoblis par la Reine sont des individus qui contrôlent le capital, les grosses sociétés, la politique; ceux qui manipulent le système économique, qui organisent le chômage afin de forcer les travailleurs à accepter des emplois très mal payés. Tant que ces gens seront en place, il y aura des milliers de Robbie. 75 millions de personnes sont sans emploi en Europe, 1/5 de la population européenne. Et je ne parle pas de la destruction de la planète, du gaspillage des ressources. Et pour moi, beaucoup de ces "sir" sont responsables".


Fernand Denis

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