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Couleur de peau : miel - Deux regards pour une vision subjective assumée

Publié le 13 juin 2012 dans Actu ciné

Entretiens croisés entre Jung, l’auteur de la bande dessinée, et le réalisateur Laurent Boileau.
Jung :

Comment est né ce film ?
Au départ, Laurent voulait me suivre en Corée, dans le but de faire un documentaire télé. On ne parlait pas du tout de film à ce moment-là. Ce fut l’élément déclencheur. Nous nous sommes rencontrés à plusieurs reprises pour préparer ce documentaire. Nous avons jeté sur papier quelques lignes de synopsis. Mais cela n’intéressa personne pour une raison très simple : il existait déjà énormément de documentaires sur les adoptés. Est alors venue l’idée qu’il y avait peut-être matière à un film de cinéma. Le but n’était pas de faire une adaptation fidèle du roman graphique, car il nous a semblé que c’était plus difficile d’avoir le double niveau de lecture à l’écran. C’est une des raisons pour lesquelles nous n’avons pas opté pour une adaptation plus littérale.

Alors qu’il était au départ centré sur votre voyage en Corée, le film en montre finalement très peu. Pourquoi ?
J’ai beaucoup appréhendé ce voyage. Avec le recul, je me dis que j’aurais dû le faire d’abord seul. Quand nous sommes partis, l’attente était très forte, puisque le projet reposait en partie sur ce voyage - nous avons vendu le film sur ce concept. Il y avait des parties vaguement scénarisées - parce qu’il fallait mettre en place un minimum de choses -, mais je ne suis pas comédien. Dans les faits, il ne s’est pas passé grand-chose en Corée. Je n’en ai pas été très étonné : il était fondamentalement impossible de vivre quelque chose d’intime avec vingt personnes derrière moi. Quand nous avons visionné les rushes, nous nous sommes aperçus que le matériau était moins important que ce qui avait été imaginé. Finalement, on a utilisé peu d’images de cette partie-là.

Le film conserve un élément clé de votre roman graphique, c’est le dialogue entre Jung adulte et Jung enfant.
Je m’étais toujours dit que si je devais un jour raconter mon histoire, la bande dessinée m’offrirait un recul pour dédramatiser ce récit. Parce que je voulais absolument éviter le misérabilisme. Il me semblait que le meilleur moyen d’aborder mon histoire et de la présenter au lecteur était de recourir à un peu d’autodérision. D’où l’idée de ce dialogue avec l’enfant que j’avais été. Ce décalage était très important à mes yeux. Ce qui n’empêchait pas non plus de transmettre de l’émotion.

De par son origine, le film vient compléter les deux tomes de la bande dessinée. Cela forme-t-il un tout à vos yeux ?
Je ne peux pas dissocier la bande dessinée du film. C’est la même histoire, mais aussi son prolongement. Le film est un peu la suite des deux premiers tomes de "Couleur de peau : Miel". Il y aura d’ailleurs un troisième tome, que je suis en train de préparer, et cela formera un tout. Avec le cinéma, on est sur un médium différent. L’objet final est curieux, atypique. Il a son identité propre par rapport à la bande dessinée. Souvent, lorsqu’on voit l’adaptation d’une bande dessinée, c’est tout l’un ou tout l’autre : soit on est déçu, soit c’est très réussi. Ici, on a une autre proposition artistique, plus radicale.

Ce que vous dites de votre famille, notamment de votre mère, est parfois très dur. Comment ont-ils réagi ?
Dans la bande dessinée, je tenais déjà des propos assez durs - plus durs me semble-t-il que dans le film : il y avait plus d’amertume dans la bande dessinée. Celle-ci n’a pas été mal perçue dans ma famille. Ma mère a dit à une de mes sœurs que j’avais eu raison de faire ce livre. Il y a de la subjectivité dans le livre, mais je n’invente rien, et aucun membre de ma famille n’a contesté les faits. Nous avons d’ailleurs tourné le dernier plan du film, celui du tiroir, chez ma mère. Nous avions même terminé ce plan sur elle.



Laurent Boileau :

Dans quelle circonstance avez-vous découvert l’histoire de Jung ?
A travers la lecture de son livre "Couleur de peau : Miel". J’étais chroniqueur pour ActuaBD, un site d’actualité de la bande dessinée. Ce récit autobiographique a retenu mon attention par son contenu et la manière dont Jung racontait son parcours, avec ironie et recul. A la fin de son livre, il précisait qu’il allait retourner pour la première fois en Corée. Je l’ai contacté via son éditeur, Quadrants, afin de lui proposer de réaliser un film documentaire autour de son histoire.

Aviez-vous déjà une idée précise de la forme que prendrait le film ?
Non. Nous nous sommes vus régulièrement pendant six mois, durant lesquels Jung a dessiné le deuxième tome de "Couleur de peau : Miel". Petit à petit, est née l’idée de mélanger prises de vue réelles et animation. L’animation s’est imposée pour trois raisons. Un : le dessin est le mode d’expression de Jung. Dès lors que l’histoire est autobiographique, il fallait coller à son langage artistique. Deux : j’avais le sentiment que l’animation venait souligner la dimension subjective de l’histoire. C’est une histoire vraie qui concerne une famille qui existe toujours, ses parents sont toujours en vie. Mais c’est la version de Jung des faits rapportés. Avec le dessin et l’animation, on assume cette subjectivité. Troisième raison : dans ses albums de bande dessinée, Jung recourt à plusieurs reprises à l’onirisme ou au symbolisme. L’animation permettait de respecter ses choix visuels qu’une transposition en images réelles aurait sans doute dénaturé.

Pourquoi avoir opté pour de l’animation en 3D, avec un rendu 2D ?
N’étant pas un spécialiste de l’animation, ma crainte était qu’en confrontant des images réelles et des séquences animées, on obtienne un effet un peu artificiel. France Télévisions nous a soutenus dans la réalisation d’un petit film pilote qui nous a permis de tester la confrontation entre le Jung réel et le Jung animé. Dans cette bande-annonce, pour des raisons budgétaires, nous avons dû travailler le Jung enfant en 3D. Jung était partant, mais un peu méfiant : son background d’auteur de bande dessinée le portait plus naturellement vers la 2D. Moi, j’étais un peu plus ouvert. Je voulais surtout trouver une technique qui soit au service du récit. La 3D me semblait pouvoir mieux s’intégrer avec le Jung réel. Quand Jung a vu les résultats de l’animation, il a retrouvé l’âme de son personnage.

Avez-vous rencontré la famille de Jung ?
Oui, j’y tenais. La mise à nu est encore plus forte avec un film qu’avec une bande dessinée. J’avais besoin de me sentir libre dans les choix que nous ferions. Ce contact s’imposait. Il fallait que je puisse leur expliquer ma vision de l’adaptation. Ses parents ont été très respectueux de ce que Jung voulait raconter de sa vie. C’est son père, notamment, qui a souligné le caractère subjectif du ressenti de Jung tel qu’il est exprimé dans la bande dessinée ou dans le film. Ils ont été très coopératifs et ouverts.

Malgré tout, certains sujets sont extrêmement sensibles. Etait-il facile pour Jung de les aborder à l’écran ?
Je ne me suis fixé aucune limite, mais j’ai toujours respecté ses choix. En clair, j’ai entrouvert toutes les portes qui me semblaient mériter d’être ouvertes - même des portes qu’il avait laissées fermées dans sa bande dessinée. Mais s’il décidait de les refermer, je n’allais pas le forcer à dire des choses qu’il ne souhaitait pas révéler. Certaines décisions n’ont pas été simples pour lui, je le sais.


Alain Lorfèvre

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